À la rédaction : Bien qu’il s’agisse d’un traitement efficace de la dépendance aux opiacés, la buprénorphine/naloxone peut être mal utilisée. Nous rapportons ici un cas de potentialisation de la buprénorphine/naloxone avec la gabapentine et la quétiapine.
Rapport de cas
« Monsieur A », un homme de 38 ans, a commencé à abuser de l’héroïne et des opioïdes sur ordonnance à la fin de la vingtaine. Après avoir été arrêté pour possession de drogue, il a suivi un programme de traitement et a été placé sous probation qui stipulait des dépistages de drogue périodiques. On lui a prescrit de la buprénorphine (8 mg)/naloxone (2 mg), deux films par voie sublinguale en une seule dose quotidienne. Au début, il semblait bien se porter. Après s’être présenté à son agent de probation dans un état apparemment intoxiqué, il a été ramené en détention. Son dépistage de drogues dans l’urine était négatif.
Monsieur A a admis qu’il avait abusé de la buprénorphine/naloxone en conjonction avec d’autres médicaments d’ordonnance comme substitut partiel aux opiacés illicites. Il voulait maintenir des résultats négatifs aux tests de dépistage de drogues, mais aussi « continuer à se défoncer ». Il a décrit la prise de buprénorphine/naloxone simultanément avec jusqu’à 1 000 mg de quétiapine ou jusqu’à 2 400 mg de gabapentine. Avec la buprénorphine/naloxone et l’un ou l’autre des médicaments supplémentaires, il a ressenti un état euphorique détendu qui n’était pas aussi intense qu’avec les opiacés illicites, mais qui était tout de même assez désirable. Il est entré dans un autre programme de traitement de la toxicomanie pour résoudre ce problème.
Discussion
Dans une enquête menée dans des cliniques de toxicomanie, 22% des répondants ont admis abuser de la gabapentine ou de la prégabaline, et parmi eux, 38% abusaient des gabapentanoïdes pour potentialiser le high obtenu avec la méthadone (1). Le mécanisme d’action possible de la potentialisation du high opiacé peut être lié à la capacité de la gabapentine à augmenter l’effet analgésique des opiacés. Les opiacés agissent en se liant aux récepteurs opioïdes, en ouvrant les canaux potassiques couplés aux protéines G et en fermant les canaux calciques voltage-dépendants, empêchant ainsi la libération d’acides aminés excitateurs dans la moelle épinière (2). La gabapentine inhibe sélectivement les canaux calciques dépendant du voltage, augmente la transmission du GABA et module les acides aminés excitateurs au niveau des sites récepteurs de l’acide N-méthyl-d-aspartique (3). Les opiacés et la gabapentine partagent donc certains mécanismes affectant l’analgésie. On a également émis l’hypothèse que l’augmentation de l’effet analgésique de la gabapentine et de la morphine pouvait être due à une augmentation de la concentration sérique de gabapentine résultant de l’administration conjointe des deux médicaments (2). La gabapentine a démontré son utilité dans la prévention du sevrage des opioïdes, probablement en modulant les acides aminés excitateurs, qui sont augmentés pendant le sevrage (3). Les interactions des effets de la quétiapine sur les systèmes sérotoninergiques, dopaminergiques et d’autres récepteurs avec les effets opiacés, et éventuellement les effets non opiacés, sont spéculatives.
Les cliniciens traitant des personnes dépendantes aux opiacés doivent savoir que certains patients peuvent tenter de potentialiser secrètement les effets de la buprénorphine/naloxone en abusant de médicaments tels que la gabapentine ou la quétiapine.
Les auteurs ne signalent aucune relation financière avec des intérêts commerciaux.
1 Baird CR, Fox P, Colvin LA : Abus de gabapenténoïdes dans le but de potentialiser l’effet de la méthadone : une enquête parmi les toxicomanes. Eur Addict Res 2013 ; 20:115-118Crossref, Medline, Google Scholar
2 Eckhardt K, Ammon S, Hofmann U, Riebe A, Gugeler N, Mikus G : La gabapentine renforce l’effet analgésique de la morphine chez des volontaires sains. Anesth Analg 2000 ; 91:185-191Medline, Google Scholar
3 Salehi M, Kheirabadi GR, Maracy MR, Ranjkesh M : Importance de la dose de gabapentine dans le traitement du sevrage des opioïdes. J Clin Psychopharmacol 2011 ; 31:593-596Crossref, Medline, Google Scholar