10 ans après le séisme meurtrier d’Haïti, les survivants se sentent oubliés

Il y a dix ans, Herlande Mitile a été laissée handicapée par le séisme massif qui a dévasté Haïti. Aujourd’hui, elle utilise un fauteuil roulant bricolé avec un morceau de ficelle, ce qui signifie qu’elle ne peut pas aller loin.

Résultat : elle est piégée dans son village à l’extérieur de Port-au-Prince. Il devait être un modèle pour la reconstruction du pays après la catastrophe.

Au lieu de cela, Mitile, 36 ans — qui travaillait autrefois dans la capitale — dépend de ses voisins pour survivre.

« Le médecin m’a dit que si je suivais une thérapie physique, je pourrais remarcher, mais il faut aller en ville pour cela. Il faut de l’argent pour les transports publics et je n’en ai pas », a-t-elle expliqué.

« C’est ainsi que je suis devenue encore plus handicapée que je ne l’étais au départ », a ajouté Mitile, qui a des plaques de métal vissées dans sa hanche et sa colonne vertébrale.

Avant le 12 janvier 2010, elle ne savait rien des tremblements de terre ni des dégâts qu’ils peuvent causer.

Mais ce mardi-là, plus de 200 000 Haïtiens ont été tués par le temblement rugissant, beaucoup d’entre eux écrasés à mort lorsque des bâtiments en béton non conformes aux normes se sont effondrés sur eux.

Mitile a été sauvée des débris huit jours après le séisme de magnitude 7,0. Elle était vivante, mais gravement blessée.

(FILES) Dans cette photo d'archive prise le 30 décembre 2019 Une fille marche à Croix des Bouquets, Haïti
Une fille marche à Croix des Bouquets, 12.9kms (8 miles) au nord-est de Port-au-Prince, le 30 décembre 2019.

Village de Potemkin

Après des mois dans un camp de fortune, dont des centaines ont parsemé le paysage de Port-au-Prince après la tragédie, Mitile et ses deux filles se sont retrouvées au Village Lumane Casimir.

Nommé d’après l’un des plus grands chanteurs d’Haïti, la communauté – à environ 20 kilomètres (12 miles) de Port-au-Prince – a été créée par le gouvernement, qui y a offert un hébergement à une cinquantaine de personnes handicapées lors du séisme.

Le gouvernement avait espéré qu’il s’agirait d’un exemple ou d’un développement urbain pour un pays appauvri, embourbé dans la corruption et qui, à ce jour, dispose de peu de dossiers immobiliers.

La communauté devait compter 3 000 maisons résistantes aux tremblements de terre, un marché, une zone industrielle, des postes de police et de pompiers, une école et une pharmacie.

Sur le papier, c’était une communauté de rêve. Mais les plans ne se sont jamais concrétisés.

Comme des centaines d’autres chantiers de construction au cours de la décennie où le programme Petrocaribe était en cours, le village a été abandonné en 2014 avec plus de la moitié des bâtiments défaits.

Scandale et corruption

Le projet ambitieux est mort dans le tourbillon de la controverse sur la corruption de Petrocaribe qui a déclenché une éruption de colère publique en 2018 — colère qui demeure à ce jour.

Depuis le milieu de cette année-là, la population manifeste régulièrement en Haïti pour réclamer plus de transparence dans la gestion des fonds du programme vénézuélien Petrocaribe.

Le dispositif avait permis à Haïti en difficulté d’acheter des produits pétroliers à moindre coût et à crédit, mais il était plombé par des allégations de mauvaise utilisation de l’argent de l’aide allouée par Caracas.

Les bouleversements financiers qui ont résulté du scandale ont condamné le projet de village, et le bureau administratif public sur place pour percevoir les loyers a fermé, créant une sorte de faille immobilière.

Les gens ont donc continué à venir dans le complexe, parce que tout d’un coup, c’était une bonne affaire.

« Je suis venu vivre ici parce que le loyer était devenu trop élevé dans mon ancien quartier », a expliqué William Saint-Pierre, qui a simplement squatté une maison vacante.

Saint-Pierre ne paie pas de loyer pour son logement de deux pièces, et ne paie pas de taxes sur son commerce de boissons hors livres.

Mais il aime aussi la sécurité du village avec ses maisons bien rangées et aux couleurs vives.

« Dans les villes, après cinq ou six heures, il faut rester à l’intérieur, et les portes ont des grilles en fer. Regardez autour de nous — à ma petite porte en bois, aux maisons sans mur de sécurité », a dit M. Saint-Pierre.

« Je deviens trop vieux pour entendre des coups de feu à toute heure du jour et de la nuit », a ajouté l’homme de 62 ans.

 Boulva Verly, 34 ans, s'occupe de son fils Woodyna Verly, 3 ans, à leur domicile de Croix des Bouquets, le 2 janvier 2020.
Boulva Verly, 34 ans, s’occupe de son fils Woodyna Verly, 3 ans, à leur domicile de Croix des Bouquets, 12.9kms (8 miles) au nord-est de Port-au-Prince, le 2 janvier 2020.

Isolation

Malgré certains avantages, y compris l’absence de violence des gangs, le Village Lumane Casimir est néanmoins isolé géographiquement et sans aucun fonctionnaire pour le gérer.

Ce qui met ses résidents les plus vulnérables à un risque encore plus élevé.

Mitile ne peut pas se déplacer donc elle ne peut pas trouver un emploi. Elle ne reçoit aucune aide publique. Elle doit donc compter sur l’aide de ses voisins.

« Parfois, j’ai voulu mourir », admet-elle, une fois que ses filles âgées de 12 et 16 ans sont hors de portée de voix.

« Quand mes voisins cuisinent, ils appellent ma petite et lui disent de venir me chercher un bol », dit-elle en tapant nerveusement sur son fauteuil roulant endommagé.

« Avant le 12 janvier (le séisme), nous nous en sortions, mais maintenant, je suis pire qu’un bébé. »

Dans le village, qui est effectivement géré par les habitants eux-mêmes, ceux qui souffrent encore des blessures subies lors du séisme et ceux qui sont venus chercher une vie meilleure disent se sentir oubliés par le gouvernement.

« Si nous devions attendre qu’ils tiennent leurs promesses, nous serions morts », dit Mitile.

« Il n’y a pas de gouvernement. Je suis mon propre gouvernement. »

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