Introduction
L’anesthésie régionale est devenue de plus en plus populaire en chirurgie ambulatoire parce qu’il a été démontré qu’elle offre un excellent contrôle de la douleur dans la période postopératoire immédiate, avec une durée de séjour plus courte dans l’unité de soins post-anesthésiques, et une épargne péri-opératoire en opioïdes1.-3
Le blocage de la cheville consiste à bloquer les cinq nerfs qui assurent l’innervation sensorielle de la région distale des malléoles. Il est utilisé seul comme technique anesthésique dans la chirurgie du pied à condition qu’aucun garrot pneumatique ne soit utilisé pendant l’intervention, ou il peut également être utilisé conjointement avec une anesthésie générale ou neuroaxiale afin de fournir une analgésie postopératoire adéquate4. Lorsqu’un garrot est nécessaire, nous proposons son utilisation au niveau de la cheville, avec une bonne tolérance lorsque le bloc de cheville est utilisé comme seule technique anesthésique.5,6
Son principal avantage par rapport au bloc simultané des nerfs sciatique et fémoral est l’absence de blocage moteur au-dessus de la cheville. Cela permet une mobilisation rapide du patient, ce qui est important dans le contexte ambulatoire ou lorsque des procédures bilatérales sont nécessaires.7
Migues et al.8 ont mené une étude prospective randomisée chez 51 patients, comparant la qualité de l’anesthésie chirurgicale, l’analgésie postopératoire et les complications postopératoires du bloc du nerf sciatique au niveau poplité avec le bloc de la cheville dans la chirurgie du pied. Dans leur étude, ils ont utilisé la technique du repère anatomique pour le bloc cheville, et le stimulateur de nerf périphérique pour le bloc sciatique poplité. Les auteurs n’ont pas trouvé de différence significative en termes d’efficacité du bloc et de qualité de l’analgésie postopératoire. Aucune complication n’a été rapportée dans cette étude.
Bien que des taux de réussite élevés aient été rapportés avec la technique du repère anatomique (89-100%),9,10 elle a été perçue comme techniquement difficile et peu fiable.11
En ce qui concerne la technique à ultrasons, Chin et al.12 ont mené une étude de cohorte rétrospective sur six ans comparant la technique à ultrasons à la technique du repère anatomique pour les blocs de cheville et ont constaté que l’utilisation des ultrasons augmente l’efficacité clinique avec une meilleure anesthésie chirurgicale, un besoin moindre d’opioïdes systémiques de secours et des doses d’opioïdes postopératoires plus faibles.
L’objectif de cet article est de passer en revue l’anatomie et la sonoanatomie pertinentes dans les blocs de cheville et de fournir aux anesthésistes un outil pour la localisation et le blocage réussi des nerfs impliqués.
Innervation de la cheville
L’innervation distale des malléoles comprend les nerfs tibial, péronier superficiel et profond, sural et saphène.
Tous ces nerfs sont des branches du nerf sciatique sauf le saphène qui est une branche du nerf fémoral. Les nerfs péronier profond, tibial postérieur et sural sont accompagnés de vaisseaux sanguins, qui constituent des repères anatomiques utiles pour l’approche échographique. La figure 1 montre les régions correspondant à l’innervation sensorielle de chacun des nerfs du pied.
Inervation sensorielle du pied et de la cheville.
Bien qu’il ait été suggéré que le bloc du nerf saphène n’est nécessaire que chez 3% des patients pris en charge pour une chirurgie du pied,13 un bloc complet plutôt que sélectif est recommandé quel que soit le type de chirurgie, car les territoires nerveux sont souvent superposés.4
Nerf tibial : Nerf aux caractéristiques mixtes (sensitives et motrices), il naît des branches terminales du nerf sciatique. En traversant le creux poplité, il reçoit le nom de nerf tibial, et devient superficiel dans la région qui se trouve en arrière de la malléole médiale. Il est le plus grand du groupe de cinq nerfs innervant le pied et procure des sensations à la plante et au talon. Au niveau de la cheville, il se divise en branches médiale, latérale et calcanéenne14,15. Avec le genou en flexion et la hanche en rotation externe, le transducteur est placé transversalement entre la malléole médiale et le tendon d’Achille (Fig. 2).
Positionnement du patient et du transducteur pour le bloc nerveux tibial.
Les vaisseaux sanguins de cette zone sont identifiés à l’aide de la sonanatomie, notamment l’artère tibiale postérieure qui passe en arrière de la malléole interne, et deux veines d’accompagnement. Le nerf tibial apparaît comme une structure hyperéchogène adjacente à l’artère tibiale postérieure (figure 3).
Imagerie échographique du nerf tibial. PTN : nerf tibial postérieur ; PTA : artère tibiale postérieure ; MM : malléole médiale ; FHLT : tendon du flexor hallucis longus.
Le nerf tibial se trouve le plus souvent postérieur à l’artère, bien que parfois il puisse être antérieur à celle-ci. Il est recommandé d’effectuer ce bloc en proximal de l’éminence de la malléole interne pour assurer le blocage de la branche calcanéenne.16 Enfin, il est important de garder à l’esprit le tendon du flexor hallucis longus profond du nerf tibial ; en raison de ses caractéristiques sonoanatomiques, il peut parfois être confondu avec une structure nerveuse.
Redborg et al.15 ont mené une étude prospective randomisée avec 18 volontaires sains comparant la technique du repère anatomique à la technique guidée par ultrasons pour le blocage du nerf tibial et ont montré une proportion plus élevée de blocs complets après 30 minutes lorsque les ultrasons étaient utilisés (72 % contre 22 %).
Nerf péronier superficiel : Le nerf péronier superficiel est la branche superficielle du nerf péronier commun. Il naît au niveau du col du péroné et descend dans la loge latérale de la jambe en procurant des sensations au dos du pied et aux orteils17. Avec le genou en flexion et la hanche en rotation interne, le transducteur est placé en travers du tiers moyen de la face latérale de la jambe (Fig. 4).
Positionnement du patient et du transducteur pour le bloc du nerf péronier superficiel.
Le repère anatomique utilisé est le péroné, qui génère un écho de forme rectangulaire. Les muscles péroniers brevis et extenseurs des doigts longs lui sont superficiels. Le septum intermusculaire et le nerf péronier superficiel sont généralement visualisés à ce niveau entre les deux muscles, en profondeur par rapport à l’aponévrose crurale (figure 5).
Imagerie échographique du nerf péronier superficiel. SPN : nerf péronier superficiel ; EDL : extensor digitorum longus ; PL : peroneus longus ; F : fibula.
A mesure que le transducteur est avancé distalement, le nerf devient plus superficiel jusqu’à ce qu’il traverse le fascia crural. À ce stade, le nerf se ramifie en nerfs cutanés dorsal et médial intermédiaires, qui innervent le dos du pied.17,18
En ce qui concerne le nerf péronier superficiel en particulier, aucune étude n’a été trouvée pour comparer le succès de la technique guidée par échographie à celui de la technique du repère anatomique.
Nerf péronier profond : Le nerf péronier profond est une branche du nerf péronier commun et, comme la branche superficielle, il émerge au niveau du col fibulaire. Il se dirige en profondeur vers l’extensor hallucis longus et devient plus superficiel jusqu’à ce qu’il arrive à la face antérieure de la membrane interosseuse où il est localisé latéralement à l’artère tibiale antérieure, bien que des variantes anatomiques aient été rapportées.19,20 Il procure des sensations à la région située entre le premier et le deuxième rayon, à la face latérale du premier rayon et à la face médiale du deuxième rayon. Le transducteur est placé transversalement sur la région intermalléolaire (Fig. 6), où l’artère tibiale antérieure est visualisée comme principal repère anatomique, ce qui est d’une grande utilité dans les cas où il est difficile de visualiser le nerf, car il suffit d’entourer l’artère d’anesthésique local pour assurer le bloc nerveux (Fig. 7).4
Positionnement du patient et du transducteur pour le bloc du nerf péronier profond.
Imagerie échographique du nerf péronier profond. DPN : nerf péronier profond ; ATA : artère tibiale antérieure ; EDL : extensor digitorum longus ; T : tibia.
Il faut veiller à ne pas appuyer trop fort sur le transducteur car cela pourrait occlure l’artère et nuire à une visualisation adéquate.
Antonakakis et al. ont mené une étude prospective randomisée et contrôlée avec 18 volontaires sains comparant l’approche par repères anatomiques à la technique guidée par ultrasons pour le blocage du nerf péronier profond. À la fin de l’étude, les auteurs ont conclu que, bien que l’utilisation des ultrasons pour le blocage du nerf péronier profond ait réduit les temps de latence, elle n’a pas amélioré la qualité du bloc final par rapport à la technique conventionnelle du repère anatomique.20
Nerf spinal : Ce nerf naît de branches des nerfs tibial et péronier commun à l’endroit où les gastrocnémiens se rejoignent dans le tiers supérieur du mollet. Il atteint la cheville en position postéro-externe au contact de la veine saphène interne et latéralement au tendon d’Achille, se ramifiant en deux portions terminales appelées calcanéenne latérale et dorsale latérale.14 Il fournit une innervation sensorielle à la face latérale du talon et au tiers latéral proximal du pied dans la majorité des cas, et peut s’étendre à la face latérale du cinquième rayon. Le patient est positionné avec le genou en flexion et la hanche en rotation interne, et le transducteur est placé dans l’espace entre la malléole latérale et le tendon d’Achille (Fig. 8). Une image hyperéchogène est observée latéralement à la petite veine saphène le long du même plan sous-cutané, mais dans le cas où il n’est pas possible de la visualiser, la localisation de la gaine péronière aide à localiser le nerf en dehors et en avant de celle-ci (Fig. 9).
Positionnement du patient et du transducteur pour le bloc du nerf sural.
Imagerie échographique du nerf sural. SN : nerf sural ; LSV : petite veine saphène ; F : fibula ; PS : gaine péronière.
Une autre façon de faciliter la visualisation du nerf sural est de placer un garrot dans le tiers supérieur de la jambe afin de provoquer une distension de la veine saphène interne pour aider à la localisation anatomique du nerf21. Dans le cas où le nerf n’est pas visible, un anesthésique local peut être injecté autour de la veine.
Redborg et al.21 ont mené une étude prospective randomisée en aveugle avec 18 volontaires sains répartis en deux groupes. Dans un groupe, le guidage par ultrasons a été utilisé pour bloquer le nerf sural, et dans le second groupe, ils ont effectué le blocage sous guidage par repères. Ils ont conclu que l’utilisation des ultrasons entraîne un bloc plus prolongé et plus complet.
Nerf saphène : C’est le seul nerf issu du plexus lombaire car il s’agit de la branche terminale du nerf fémoral. Il chemine le long de la grande veine saphène jusqu’à la malléole interne. Il fournit une innervation sensorielle à la face médiale de la cheville et au talon. On rapporte que le nerf saphène s’étend en profondeur jusqu’au périoste du tibia distal, à la capsule de la malléole interne dans l’articulation de la cheville et, dans certains cas, à la capsule de l’articulation talo-canonaviculaire en médial22.
Le patient est positionné avec la hanche en rotation externe et le transducteur est placé en proximal de la malléole médiale (Fig. 10).
Positionnement du patient et du transducteur pour le bloc nerveux saphène.
Le repère anatomique est la grande veine saphène. Dans le cas où il n’est pas possible de la visualiser, un garrot peut être placé autour du mollet afin de favoriser le remplissage veineux. Le nerf saphène peut être visualisé comme une petite structure hyperéchogène superficielle postérieure à la grande veine saphène. Cependant, il n’est pas toujours visible et le bloc peut nécessiter une infiltration d’anesthésique local autour de la veine.23
Nous n’avons pas trouvé d’études comparant l’utilisation de l’échographie avec la technique du repère anatomique pour le bloc de ce nerf en particulier (Fig. 11).
Imagerie échographique du nerf saphène. SN : nerf saphène ; VGS : grande veine saphène ; T : tibia.
Approche échographique et volume d’anesthésique local
Le transducteur linéaire est recommandé pour les blocs nerveux de la cheville compte tenu du fait que les nerfs sont superficiels, et des aiguilles à biseau court de 50 mm ou des aiguilles hypodermiques de 25-27G peuvent être utilisées4.
En termes d’approche, la technique dans le plan ou hors du plan peut être utilisée pour les cinq nerfs ; les recommandations concernant l’utilisation de l’une plutôt que de l’autre varient dans la littérature et dépendent de la propre expérience des auteurs.4,7,14
En ce qui concerne le volume d’anesthésique local, il est recommandé d’utiliser 5mL pour chaque nerf, à l’exception du nerf tibial qui nécessite entre 5 et 10mL en raison de sa plus grande taille. Il existe un accord général dans la littérature concernant l’utilisation d’un volume total compris entre 30 et 40mL.4,7,12,13 Ce volume total n’est pas significativement différent du volume utilisé pour les blocs de cheville avec la technique des repères anatomiques. Fredrickson et al.24 ont évalué 72 patients pris en charge pour une chirurgie du pied et chez qui le bloc de cheville a été utilisé. Les patients ont été divisés en deux groupes : dans le premier groupe, un faible volume d’anesthésique local a été utilisé (environ 16mL), tandis que le volume total conventionnel (30mL) a été utilisé dans le second groupe. Les auteurs ont conclu que, malgré un taux de réussite élevé du bloc lorsque de faibles volumes sont utilisés, la durée de l’analgésie postopératoire peut être compromise.
Conclusions
Le bloc de cheville est une technique d’anesthésie régionale efficace lorsqu’elle est utilisée seule ou comme adjuvant analgésique dans la chirurgie du pied. Chez les patients ambulatoires, il offre l’avantage d’un bloc moteur réduit avec une efficacité analgésique similaire par rapport au bloc sciatique.8 Il peut être considéré comme une alternative pour les patients souffrant de maladies cardiaques ou pulmonaires afin d’éviter les effets secondaires de l’anesthésie générale et les analgésiques systémiques très puissants tels que les opioïdes5.
Bien que l’utilisation de l’échographie pour guider le blocus de ces cinq nerfs soit relativement récente, il existe des études dans la littérature qui favorisent son utilisation par rapport à la technique traditionnelle guidée par le repère.12,13 De plus, lorsque les deux techniques ont été comparées en termes de qualité et de latence du blocus pour chaque nerf distinct, la littérature favorise l’échographie pour les blocs des nerfs tibial15 et sural21 et ne montre pas de différence dans la qualité du bloc pour le nerf péronier profond20. Aucune étude n’a été trouvée comparant les deux techniques pour les nerfs péronier superficiel ou saphène.
Divulgations éthiquesProtection des sujets humains et animaux
Les auteurs déclarent qu’aucune expérience n’a été réalisée sur des humains ou des animaux pour cette étude.
Confidentialité des données
Les auteurs déclarent qu’aucune donnée de patient n’apparaît dans cet article.
Droit à la vie privée et au consentement éclairé
Les auteurs déclarent qu’aucune donnée de patient n’apparaît dans cet article.
Financement
Les auteurs n’ont pas reçu de sponsoring pour entreprendre cet article.
Conflit d’intérêt
Les auteurs n’ont aucun conflit d’intérêt à déclarer.
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