Illustration de Walter Crane de Démosthène quittant l’Assemblée avec honte après son premier échec à parler en public, tel que décrit par Plutarque dans sa Vie de Démosthène
Carrière juridiqueEdit
Pour gagner sa vie, Démosthène est devenu un plaideur professionnel, à la fois comme » logographe » (λογογράφος, logographos), rédigeant des discours destinés à être utilisés dans des procès privés, et comme avocat (συνήγορος, sunégoros) parlant au nom d’un autre. Il semble avoir été capable de gérer tout type d’affaire, adaptant ses compétences à presque tous les clients, y compris les hommes riches et puissants. Il n’est pas improbable qu’il soit devenu professeur de rhétorique et qu’il ait amené des élèves au tribunal avec lui. Cependant, bien qu’il ait probablement continué à rédiger des discours tout au long de sa carrière, il a cessé de travailler comme avocat dès qu’il est entré dans l’arène politique.
« Si vous vous sentez tenus d’agir dans l’esprit de cette dignité, chaque fois que vous venez au tribunal pour rendre un jugement sur les causes publiques, vous devez vous souvenir qu’avec son bâton et son insigne chacun d’entre vous reçoit en confiance l’antique fierté d’Athènes. »
Démosthène (Sur la Couronne, 210)-La défense de l’honneur des tribunaux par l’orateur contraste avec les actions inappropriées dont l’accuse Eschine.
L’oratoire judiciaire était devenu un genre littéraire important dès la seconde moitié du Ve siècle, comme le représentent les discours des prédécesseurs de Démosthène, Antiphon et Andocide. Les logographes constituaient un aspect unique du système judiciaire athénien : les preuves d’une affaire étaient rassemblées par un magistrat lors d’une audience préliminaire et les plaideurs pouvaient les présenter à leur guise dans le cadre de discours déterminés ; cependant, les témoins et les documents faisaient l’objet d’une méfiance populaire (puisqu’ils pouvaient être obtenus par la force ou la corruption), il y avait peu de contre-interrogatoire pendant le procès, il n’y avait pas d’instructions au jury de la part d’un juge, pas de conférence entre les juristes avant le vote, les jurys étaient énormes (généralement entre 201 et 501 membres), les affaires dépendaient largement des questions de motif probable, et les notions de justice naturelle étaient ressenties comme ayant la priorité sur le droit écrit – des conditions qui favorisaient les discours construits avec art.
Comme les politiciens athéniens étaient souvent mis en accusation par leurs adversaires, il n’y avait pas toujours une distinction claire entre les affaires « privées » et « publiques », et donc une carrière de logographe a ouvert la voie à Démosthène pour se lancer dans sa carrière politique. Un logographe athénien pouvait rester anonyme, ce qui lui permettait de servir des intérêts personnels, même si cela portait préjudice à son client. Cela l’exposait également à des allégations de malversations. C’est ainsi qu’Eschine a accusé Démosthène d’avoir divulgué les arguments de ses clients à leurs adversaires sans respecter l’éthique, et notamment d’avoir rédigé un discours pour Phormion (350 av. J.-C.), un riche banquier, puis de l’avoir communiqué à Apollodore, qui portait une accusation capitale contre Phormion. Plutarque, bien plus tard, a soutenu cette accusation, déclarant que Démosthène « était considéré comme ayant agi de manière déshonorante » et il a également accusé Démosthène d’avoir écrit des discours pour les deux camps. On a souvent soutenu que la tromperie, s’il y en a eu une, impliquait un quiproquo politique, par lequel Apollodore s’engageait secrètement à soutenir des réformes impopulaires que Démosthène poursuivait dans l’intérêt supérieur et public (c’est-à-dire le détournement des fonds théoriques à des fins militaires).
Activité politique précoceModification
Démosthène a été admis dans son δῆμος (dêmos) en tant que citoyen de plein droit probablement en 366 av. J.-C., et il a rapidement démontré un intérêt pour la politique. En 363 et 359 av. J.-C., il assume la fonction de triérarque, étant responsable de l’équipement et de l’entretien d’une trirème. Il fut l’un des premiers triérarques volontaires en 357 avant J.-C., partageant les dépenses d’un navire appelé Dawn, dont l’inscription publique subsiste encore. En 348 av. J.-C., il devient choregos, payant les dépenses d’une production théâtrale.
« Tant que le navire est en sécurité, qu’il soit grand ou petit, c’est alors le moment pour le marin et le timonier et chacun à son tour de montrer son zèle et de veiller à ce qu’il ne soit pas chaviré par la malice ou l’inadvertance de quiconque ; mais quand la mer l’a submergé, le zèle est inutile. »
Démosthène (Troisième Philippique, 69)-L’orateur met en garde ses compatriotes contre les désastres que subirait Athènes, s’ils continuaient à rester oisifs et indifférents aux défis de leur temps.
Entre 355 et 351 av. J.-C., Démosthène continue à pratiquer le droit à titre privé tout en s’intéressant de plus en plus aux affaires publiques. Durant cette période, il écrit Contre Androtion et Contre Leptines, deux attaques féroces contre des individus qui tentent d’abroger certaines exemptions fiscales. Dans Contre Timocrate et Contre Aristocrate, il prône l’élimination de la corruption. Tous ces discours, qui offrent les premiers aperçus de ses principes généraux en matière de politique étrangère, comme l’importance de la marine, des alliances et de l’honneur national, sont des poursuites (γραφὴ παρανόμων, graphē paranómōn) contre des individus accusés d’avoir proposé illégalement des textes législatifs.
A l’époque de Démosthène, différents objectifs politiques se développent autour des personnalités. Au lieu de faire de la propagande électorale, les politiciens athéniens utilisaient les litiges et la diffamation pour écarter leurs rivaux des processus gouvernementaux. Souvent, ils s’accusaient mutuellement d’infractions aux lois statutaires (graphē paranómōn), mais les accusations de pots-de-vin et de corruption étaient omniprésentes dans tous les cas, faisant partie du dialogue politique. Les orateurs avaient souvent recours à des tactiques d' »assassinat de personnage » (δῐᾰβολή, diabolḗ ; λοιδορία, loidoría), tant devant les tribunaux qu’à l’Assemblée. Les accusations rancunières et souvent hilarantes et exagérées, satirisées par l’Ancienne Comédie, étaient soutenues par des insinuations, des déductions sur les motifs et une absence totale de preuves ; comme l’affirme J. H. Vince » il n’y avait pas de place pour la chevalerie dans la vie politique athénienne « . Cette rivalité permettait au « demos » ou corps citoyen de régner en maître en tant que juge, jury et bourreau. Démosthène devait s’engager pleinement dans ce type de litige et il devait également contribuer à développer le pouvoir de l’aréopage d’inculper des individus pour trahison, invoqué dans l’ekklesia par un processus appelé ἀπόφασις (apóphasis).
En 354 av. J.-C., Démosthène prononce sa première oraison politique, Sur la marine, dans laquelle il épouse la modération et propose la réforme des symmoriai (conseils) comme source de financement de la flotte athénienne. En 352 avant J.-C., il prononce le discours Pour les Mégalopolitains et, en 351 avant J.-C., Sur la liberté des Rhodiens. Dans ces deux discours, il s’oppose à Eubulus, l’homme d’État athénien le plus puissant de la période allant de 355 à 342 avant Jésus-Christ. J.-C. Ce dernier n’était pas un pacifiste, mais il avait fini par renoncer à une politique d’interventionnisme agressif dans les affaires intérieures des autres cités grecques. Contrairement à la politique d’Eubulus, Démosthène préconise une alliance avec Mégalopolis contre Sparte ou Thèbes, et le soutien de la faction démocratique des Rhodiens dans leurs luttes internes. Ses arguments révélaient son désir d’articuler les besoins et les intérêts d’Athènes à travers une politique étrangère plus active, partout où l’occasion se présenterait.
Bien que ses premières oraisons n’aient pas été couronnées de succès et révèlent un manque de conviction réelle et de hiérarchisation stratégique et politique cohérente, Démosthène s’est imposé comme une personnalité politique importante et a rompu avec la faction d’Eubulus, dont un membre éminent était Eschines. Il pose ainsi les bases de ses futurs succès politiques et de son accession à la tête de son propre « parti » (la question de savoir si le concept moderne de parti politique peut s’appliquer à la démocratie athénienne est vivement contestée par les spécialistes modernes).
Confrontation avec Philippe IIEdit
Première Philippique et les Olynthes (351-349 av. J.-C.)Edit
Philippe II de Macédoine : médaille de victoire (nikétérion) frappée à Tarse, vers le IIe siècle av. J.-C. (Cabinet des Médailles, Paris).
La plupart des grandes oraisons de Démosthène étaient dirigées contre le pouvoir croissant du roi Philippe II de Macédoine. Depuis 357 av. J.-C., lorsque Philippe s’est emparé d’Amphipolis et de Pydna, Athènes était formellement en guerre avec les Macédoniens. En 352 avant J.-C., Démosthène décrit Philippe comme le pire ennemi de sa ville ; ce discours présage des attaques féroces que Démosthène lancera contre le roi macédonien au cours des années suivantes. Un an plus tard, il critique ceux qui considèrent Philippe comme une personne sans importance et prévient qu’il est aussi dangereux que le roi de Perse.
En 352 av. J.-C., les troupes athéniennes s’opposent avec succès à Philippe aux Thermopyles, mais la victoire macédonienne sur les Phocéens à la bataille du champ de Crocus ébranle Démosthène. En 351 avant J.-C., Démosthène se sent suffisamment fort pour exprimer son point de vue sur la question de politique étrangère la plus importante à laquelle Athènes est confrontée à cette époque : la position que sa ville doit adopter vis-à-vis de Philippe. Selon Jacqueline de Romilly, philologue française et membre de l’Académie française, la menace de Philippe allait donner aux prises de position de Démosthène une orientation et une raison d’être. Démosthène voyait dans le roi de Macédoine une menace pour l’autonomie de toutes les cités grecques, mais il le présentait comme un monstre créé par Athènes elle-même ; dans la Première Philippique, il réprimandait ses concitoyens comme suit : « Même s’il lui arrive quelque chose, vous susciterez bientôt un second Philippe ».
Le thème de la Première Philippique (351-350 av. J.-C.) était la préparation et la réforme de la caisse Théorique, pilier de la politique d’Eubulus. Dans son vibrant appel à la résistance, Démosthène demande à ses compatriotes de prendre les mesures nécessaires et affirme que « pour un peuple libre, il ne peut y avoir de plus grande contrainte que la honte de sa position ». Il fournit ainsi pour la première fois un plan et des recommandations spécifiques pour la stratégie à adopter contre Philippe au nord. Entre autres choses, le plan prévoyait la création d’une force d’intervention rapide, à créer à bon marché, chaque ὁπλῑ́της (hoplī́tēs) ne devant être payé que dix drachmes par mois (deux oboles par jour), ce qui était inférieur au salaire moyen des ouvriers non qualifiés à Athènes – ce qui implique que l’hoplite était censé combler le déficit de salaire par le pillage.
« Nous avons besoin d’argent, à coup sûr, Athéniens, et sans argent, rien ne peut être fait de ce qui devrait être fait »
Démosthène (Premier Olynthe, 20)-L’orateur s’est donné beaucoup de mal pour convaincre ses compatriotes que la réforme de la caisse théorétique était nécessaire pour financer les préparatifs militaires de la cité.
De ce moment jusqu’à 341 av. J.-C., tous les discours de Démosthène se réfèrent à la même question, la lutte contre Philippe. En 349 av. J.-C., Philippe attaque Olynthe, un allié d’Athènes. Dans les trois Olynthes, Démosthène reproche à ses compatriotes d’être oisifs et exhorte Athènes à aider Olynthe. Il a également insulté Philippe en le qualifiant de « barbare ». Malgré le plaidoyer vigoureux de Démosthène, les Athéniens ne parviendront pas à empêcher la chute de la ville aux mains des Macédoniens. Presque simultanément, probablement sur la recommandation d’Eubulus, ils s’engagent dans une guerre en Eubée contre Philippe, qui se termine par une impasse.
Cas de Meidias (348 av. J.-C.)Edit
En 348 avant Jésus-Christ, un événement singulier se produisit : Meidias, un riche Athénien, gifle publiquement Démosthène, qui était à l’époque chorégraphe à la Grande Dionysia, une grande fête religieuse en l’honneur du dieu Dionysos. Meidias était un ami d’Eubulus et un partisan de l’excursion infructueuse en Eubée. Il était aussi un vieil ennemi de Démosthène ; en 361 avant J.-C., il s’était introduit violemment dans sa maison, avec son frère Thrasylochus, pour en prendre possession.
« Réfléchissez. A l’instant où cette cour se lève, chacun de vous va rentrer chez lui, l’un plus vite, l’autre plus tranquillement, sans s’inquiéter, sans jeter un coup d’œil derrière lui, sans craindre s’il va se heurter à un ami ou à un ennemi, à un grand ou à un petit, à un homme fort ou à un faible, ou à quoi que ce soit de ce genre. Et pourquoi ? Parce que dans son cœur il sait, et il a confiance, et il a appris à faire confiance à l’État, que personne ne le saisira, ni ne l’insultera, ni ne le frappera. »
Démosthène (Contre Meidias, 221)-L’orateur demande aux Athéniens de défendre leur système juridique, en faisant un exemple du défendeur pour l’instruction des autres.
Démosthène décide de poursuivre son riche adversaire et rédige l’oraison judiciaire Contre Meidias. Ce discours donne de précieuses informations sur le droit athénien de l’époque et notamment sur le concept grec d’hybris (agression aggravée), qui était considéré comme un crime non seulement contre la cité mais contre la société dans son ensemble. Il affirme qu’un État démocratique périt si la règle de droit est sapée par des hommes riches et sans scrupules, et que les citoyens acquièrent le pouvoir et l’autorité dans toutes les affaires de l’État grâce « à la force des lois ». Il n’y a pas de consensus parmi les spécialistes, ni sur le fait que Démosthène ait finalement livré Contre Meidias, ni sur la véracité de l’accusation d’Eschines selon laquelle Démosthène aurait été soudoyé pour abandonner les accusations.
Paix de Philocrate (347-345 av. J.-C.)Edit
En 348 av. J.-C., Philippe conquiert Olynthe et la rase ; puis conquiert toute la Chalcidique et tous les États de la fédération chalcidique qu’Olynthe avait autrefois dirigée. Après ces victoires macédoniennes, Athènes demanda la paix avec la Macédoine. Démosthène était parmi les partisans du compromis. En 347 avant J.-C., une délégation athénienne, composée de Démosthène, d’Eschine et de Philocrate, est officiellement envoyée à Pella pour négocier un traité de paix. Lors de sa première rencontre avec Philippe, Démosthène se serait effondré de frayeur.
L’ekklesia accepta officiellement les conditions sévères de Philippe, y compris le renoncement à leur revendication d’Amphipolis. Cependant, lorsqu’une délégation athénienne arriva à Pella pour faire prêter serment à Philippe, ce qui était nécessaire pour conclure le traité, il était en campagne à l’étranger. Il s’attendait à ce que les possessions athéniennes qu’il pourrait saisir avant la ratification soient en sécurité. Très inquiet de ce retard, Démosthène insista pour que l’ambassade se rende à l’endroit où elle trouverait Philippe et lui fasse prêter serment sans délai. Malgré ses suggestions, les envoyés athéniens, dont lui-même et Eschines, restèrent à Pella, jusqu’à ce que Philippe ait terminé avec succès sa campagne en Thrace.
Philippe prêta serment au traité, mais il retarda le départ des envoyés athéniens, qui devaient encore recevoir les serments des alliés de Macédoine en Thessalie et ailleurs. Finalement, la paix fut jurée à Phérae, où Philippe accompagna la délégation athénienne, après avoir terminé ses préparatifs militaires pour se déplacer vers le sud. Démosthène accusa les autres émissaires de vénalité et d’avoir facilité les plans de Philippe par leur position. Juste après la conclusion de la paix de Philocrate, Philippe passe les Thermopyles et soumet la Phocide ; Athènes ne fait rien pour soutenir les Phocéens. Soutenue par Thèbes et la Thessalie, Macédoine prend le contrôle des votes de Phocide dans la Ligue Amphictyonique, une organisation religieuse grecque formée pour soutenir les grands temples d’Apollon et de Déméter. Malgré une certaine réticence de la part des dirigeants athéniens, Athènes a finalement accepté l’entrée de Philippe dans le Conseil de la Ligue. Démosthène était parmi ceux qui adoptaient une approche pragmatique, et recommandait cette position dans son oraison Sur la paix. Pour Edmund M. Burke, ce discours annonce une maturation dans la carrière de Démosthène : après la campagne réussie de Philippe en 346 av. J.-C., l’homme d’État athénien se rend compte que, s’il veut mener sa cité contre les Macédoniens, il doit « ajuster sa voix, devenir moins partisan dans le ton ».
Les deuxième et troisième Philippiques (344-341 av. J.-C.)Edit
Image satellite de la Chersonèse de Thrace et de ses environs. La Chersonèse devint l’enjeu d’une âpre dispute territoriale entre Athènes et Macédoine. Elle fut finalement cédée à Philippe en 338 av. J.-C.
Pour plus de détails sur ce sujet, voir Deuxième Philippique, Sur la Chersonèse, Troisième Philippique
En 344 av. J.-C., Démosthène se rendit dans le Péloponnèse, afin de détacher autant de villes que possible de l’influence de Macédoine, mais ses efforts furent généralement infructueux. La plupart des Péloponnésiens considéraient Philippe comme le garant de leur liberté et envoyèrent une ambassade commune à Athènes pour exprimer leurs griefs contre les activités de Démosthène. En réponse, Démosthène livre la deuxième Philippique, une attaque véhémente contre Philippe. En 343 av. J.-C., Démosthène présente De la fausse ambassade contre Eschine, qui est accusé de haute trahison. Néanmoins, Aeschines fut acquitté par la faible marge de trente voix par un jury qui aurait pu compter jusqu’à 1 501 personnes.
En 343 avant J.-C., les forces macédoniennes menaient des campagnes en Épire et, en 342 avant J.-C., Philippe faisait campagne en Thrace. Il négocia également avec les Athéniens un amendement à la paix de Philocrate. Lorsque l’armée macédonienne s’approcha de la Chersonèse (aujourd’hui connue sous le nom de péninsule de Gallipoli), un général athénien nommé Diopeithes ravagea le district maritime de Thrace, suscitant ainsi la colère de Philippe. En raison de cette agitation, l’Assemblée athénienne se réunit. Démosthène prononça Sur la Chersonèse et convainquit les Athéniens de ne pas rappeler Diopeithes. Toujours en 342 av. J.-C., il prononce la troisième Philippique, qui est considérée comme la meilleure de ses oraisons politiques. Utilisant toute la puissance de son éloquence, il exige une action résolue contre Philippe et appelle le peuple athénien à un sursaut d’énergie. Il leur dit qu’il vaudrait mieux « mourir mille fois que de faire la cour à Philippe ». Démosthène domine désormais la politique athénienne et parvient à affaiblir considérablement la faction pro-macédonienne d’Eschines.
Bataille de Chaeronea (338 av. J.-C.)Edit
La bataille de Chaeronea a eu lieu à l’automne 338 av. J.-C. et s’est soldée par une victoire importante de Philippe, qui a établi la suprématie de la Macédoine sur les cités grecques.
En 341 av. J.-C., Démosthène est envoyé à Byzance, où il cherche à renouveler son alliance avec Athènes. Grâce aux manœuvres diplomatiques de Démosthène, Abydos conclut également une alliance avec Athènes. Ces développements inquiétèrent Philippe et augmentèrent sa colère contre Démosthène. L’Assemblée, cependant, mit de côté les griefs de Philippe contre la conduite de Démosthène et dénonça le traité de paix, ce qui équivalait en fait à une déclaration de guerre officielle. En 339 avant J.-C., Philippe fit sa dernière tentative, la plus efficace, de conquérir la Grèce du Sud, aidé par la position d’Eschine au sein du Conseil amphictyonique. Au cours d’une réunion du Conseil, Philippe a accusé les Locriens d’Amfissian de s’immiscer dans un sol consacré. Le président du Conseil, un Thessalien nommé Cottyphus, propose la convocation d’un Congrès amphictyonique pour infliger une punition sévère aux Locriens. Eschine est d’accord avec cette proposition et soutient que les Athéniens doivent participer au Congrès. Démosthène revient cependant sur les initiatives d’Eschine et Athènes s’abstient finalement. Après l’échec d’une première excursion militaire contre les Locriens, la session d’été du Conseil amphictyonique confia le commandement des forces de la ligue à Philippe et lui demanda de mener une seconde excursion. Philippe décida d’agir immédiatement ; au cours de l’hiver 339-338 avant J.-C., il traversa les Thermopyles, entra dans Amfissa et vainquit les Locriens. Après cette importante victoire, Philippe entre rapidement en Phocide en 338 av. Il se tourne alors vers le sud-est en descendant la vallée du Céphisse, s’empare d’Elateia et restaure les fortifications de la ville.
Au même moment, Athènes orchestre la création d’une alliance avec Eubée, Mégare, l’Achéa, Corinthe, l’Acarnanie et d’autres États du Péloponnèse. Cependant, l’allié le plus désirable pour Athènes était Thèbes. Pour s’assurer de leur allégeance, Démosthène fut envoyé par Athènes dans la cité béotienne ; Philippe envoya également une députation, mais Démosthène réussit à obtenir l’allégeance de Thèbes. L’oraison de Démosthène devant le peuple thébain n’existe pas et, par conséquent, les arguments qu’il a utilisés pour convaincre les Thébains restent inconnus. Quoi qu’il en soit, l’alliance avait un prix : Le contrôle de la Béotie par Thèbes était reconnu, Thèbes devait commander uniquement sur terre et conjointement sur mer, et Athènes devait payer les deux tiers du coût de la campagne.
Alors que les Athéniens et les Thébains se préparaient à la guerre, Philippe fit une dernière tentative pour apaiser ses ennemis, proposant en vain un nouveau traité de paix. Après quelques rencontres insignifiantes entre les deux camps, qui se soldèrent par des victoires athéniennes mineures, Philippe attira la phalange des confédérés athéniens et thébains dans une plaine près de Chaeronea, où il les vainquit. Démosthène combattit comme un simple hoplite. La haine de Philippe pour Démosthène était telle que, selon Diodore de Sicile, le roi, après sa victoire, se moquait des malheurs de l’homme d’État athénien. Cependant, l’orateur et homme d’État athénien Démosthène aurait fait la remarque suivante : « Ô Roi, alors que la Fortune vous a fait jouer le rôle d’Agamemnon, n’avez-vous pas honte de jouer le rôle de Thersites ? ». Piqué par ces mots, Philippe modifia immédiatement son comportement.
Dernières initiatives politiques et mortEdit
Confrontation avec AlexandreEdit
Mosaïque d’Alexandre de Pompéi, d’après une peinture grecque originale du IIIe siècle avant JC, aujourd’hui perdue. En 336-335 av. J.-C., le roi de Macédoine paralyse toute tentative de résistance des cités grecques et brise les espoirs d’indépendance athénienne de Démosthène.
Après Chaeronea, Philippe inflige une sévère punition à Thèbes, mais fait la paix avec Athènes à des conditions très clémentes. Démosthène encouragea la fortification d’Athènes et fut choisi par l’ekklesia pour prononcer l’oraison funèbre. En 337 avant J.-C., Philippe crée la Ligue de Corinthe, une confédération d’États grecs sous sa direction, et retourne à Pella. En 336 avant J.-C., Philippe est assassiné lors du mariage de sa fille, Cléopâtre de Macédoine, avec le roi Alexandre d’Épire. L’armée macédonienne proclame rapidement Alexandre III de Macédoine, alors âgé de vingt ans, comme nouveau roi de Macédoine. Les cités grecques comme Athènes et Thèbes virent dans ce changement de dirigeant une occasion de retrouver leur pleine indépendance. Démosthène célébra l’assassinat de Philippe et joua un rôle de premier plan dans le soulèvement de sa ville. Selon Eschine, « ce n’était que le septième jour après la mort de sa fille, et bien que les cérémonies de deuil n’étaient pas encore terminées, il mit une guirlande sur sa tête et un vêtement blanc sur son corps, et il resta là à faire des offrandes de remerciement, violant toute décence ». Démosthène envoya également des émissaires à Attalus, qu’il considérait comme un adversaire interne d’Alexandre. Néanmoins, Alexandre se dirigea rapidement vers Thèbes, qui se soumit peu après son apparition à ses portes. Lorsque les Athéniens apprirent qu’Alexandre s’était rapidement rendu en Béotie, ils paniquèrent et implorèrent la clémence du nouveau roi de Macédoine. Alexandre les admonesta mais n’imposa aucune punition.
En 335 av. J.-C., Alexandre se sentait libre d’affronter les Thraces et les Illyriens, mais, alors qu’il faisait campagne dans le nord, Démosthène répandit une rumeur – produisant même un messager souillé de sang – selon laquelle Alexandre et tout son corps expéditionnaire avaient été massacrés par les Triballiens. Les Thébains et les Athéniens se rebellent à nouveau, financés par Darius III de Perse, et Démosthène aurait reçu environ 300 talents au nom d’Athènes et aurait été accusé de détournement de fonds. Alexandre réagit immédiatement et rase Thèbes. Il n’attaqua pas Athènes, mais exigea l’exil de tous les politiciens anti-macédoniens, Démosthène en premier lieu. Selon Plutarque, une ambassade spéciale athénienne dirigée par Phocion, un opposant à la faction anti-macédonienne, réussit à persuader Alexandre de céder.
Livraison de Sur la CouronneModifié
« Tu te tiens révélé dans ta vie et ta conduite, dans tes prestations publiques et aussi dans tes abstinences publiques. Un projet approuvé par le peuple va de l’avant. Eschines est sans voix. Un incident regrettable est rapporté. Eschines est en évidence. Il fait penser à une vieille entorse ou à une fracture : dès que l’on est hors de santé, il commence à être actif. »
Démosthène (Sur la Couronne, 198)-Dans Sur la Couronne, Démosthène attaque férocement et neutralise finalement Eschines, son redoutable adversaire politique.
Malgré l’échec des entreprises contre Philippe et Alexandre, la plupart des Athéniens respectaient encore Démosthène, car ils partageaient ses sentiments et souhaitaient restaurer leur indépendance. En 336 avant J.-C., l’orateur Ctésiphon proposa qu’Athènes honore Démosthène pour les services rendus à la cité en lui remettant, selon la coutume, une couronne d’or. Cette proposition devient un enjeu politique et, en 330 avant J.-C., Eschine poursuit Ctésiphon pour irrégularités juridiques. Dans son plus brillant discours, Sur la couronne, Démosthène défend efficacement Ctésiphon et attaque avec véhémence ceux qui auraient préféré la paix avec Macédoine. Il ne se repent pas de ses actions et politiques passées et insiste sur le fait que, lorsqu’il est au pouvoir, le but constant de sa politique est l’honneur et l’ascension de son pays ; et en toute occasion et dans toutes les affaires, il préserve sa loyauté envers Athènes. Il a finalement vaincu Eschines, bien que les objections de son ennemi, bien que motivées par des raisons politiques, au couronnement étaient sans doute valables d’un point de vue juridique.
Cas d’Harpalus et mortModifier
Le site du temple de Poséidon, Kalaureia, où Démosthène s’est suicidé.
En 324 av. J.-C., Harpalus, à qui Alexandre avait confié d’énormes trésors, s’enfuit et se réfugie à Athènes. L’Assemblée avait d’abord refusé de l’accueillir, suivant les conseils de Démosthène et de Phocion, mais finalement Harpalus entra à Athènes. Il fut emprisonné sur proposition de Démosthène et de Phocion, malgré la dissidence d’Hypéréide, homme d’État anti-macédonien et ancien allié de Démosthène. De plus, l’ekklesia décida de prendre le contrôle de l’argent d’Harpalus, qui fut confié à un comité présidé par Démosthène. Lorsque le comité a compté le trésor, il a constaté qu’il n’avait que la moitié de l’argent qu’Harpalus avait déclaré posséder. Lorsque Harpalus s’échappa, l’Aréopage mena une enquête et accusa Démosthène et d’autres personnes d’avoir mal géré vingt talents.
Parmi les accusés, Démosthène fut le premier à être traduit en justice devant un jury exceptionnellement nombreux de 1 500 personnes. Il fut reconnu coupable et condamné à une amende de 50 talents. Incapable de payer cette énorme somme, Démosthène s’enfuit et ne revient à Athènes que neuf mois plus tard, après la mort d’Alexandre. À son retour, il « reçut de ses compatriotes un accueil enthousiaste, tel qu’il n’avait jamais été accordé à aucun exilé de retour depuis l’époque d’Alkibiades. » Un tel accueil, les circonstances de l’affaire, le besoin athénien d’apaiser Alexandre, l’urgence de rendre compte des fonds manquants, le patriotisme de Démosthène et son désir de libérer la Grèce de la domination macédonienne, tout cela conforte l’opinion de George Grote selon laquelle Démosthène était innocent, que les accusations portées contre lui étaient motivées par des raisons politiques et qu’il » n’a été ni payé ni acheté par Harpalus. »
Mogens Hansen, cependant, note que de nombreux dirigeants athéniens, Démosthène inclus, ont fait fortune grâce à leur activisme politique, notamment en acceptant des pots-de-vin de la part de leurs concitoyens et d’États étrangers comme la Macédoine et la Perse. Démosthène recevait des sommes considérables pour les nombreux décrets et lois qu’il proposait. Compte tenu de ce schéma de corruption dans la politique grecque, il semble probable, écrit Hansen, que Démosthène ait accepté un énorme pot-de-vin de la part d’Harpalus, et qu’il ait été reconnu coupable à juste titre devant un tribunal populaire athénien.
« Car une maison, je suppose, ou un navire ou toute chose de ce genre doit avoir sa principale force dans sa substructure ; et de même, dans les affaires d’État, les principes et les fondements doivent être la vérité et la justice. »
Démosthène (Deuxième Olynthe, 10)- L’orateur a fait face à de graves accusations plus d’une fois, mais il n’a jamais admis d’actions inappropriées et a insisté sur le fait qu’il est impossible « d’obtenir un pouvoir permanent par l’injustice, le parjure et le mensonge ».
Après la mort d’Alexandre en 323 av. J.-C., Démosthène a de nouveau exhorté les Athéniens à chercher à obtenir l’indépendance de Macédoine dans ce qui est devenu connu comme la guerre Lamienne. Cependant, Antipater, le successeur d’Alexandre, étouffa toute opposition et exigea que les Athéniens livrent Démosthène et Hypéride, entre autres. Suivant son ordre, l’ekklesia n’eut d’autre choix que d’adopter à contrecœur un décret condamnant à mort les plus éminents agitateurs anti-macédoniens. Démosthène s’est enfui dans un sanctuaire de l’île de Kalaureia (aujourd’hui Poros), où il a été découvert plus tard par Archias, un confident d’Antipater. Il s’est suicidé avant sa capture en prenant du poison dans un roseau, prétendant qu’il voulait écrire une lettre à sa famille. Lorsque Démosthène sentit que le poison agissait sur son corps, il dit à Archias : « Maintenant, dès que tu le voudras, tu pourras commencer le rôle de Créon dans la tragédie, et jeter mon corps sans hâte. Mais, ô gracieux Neptune, pour ma part, tant que je suis encore en vie, je me lève et je quitte ce lieu sacré ; bien qu’Antipater et les Macédoniens n’aient pas même laissé le temple intact. » Après avoir prononcé ces mots, il passa devant l’autel, tomba et mourut. Des années après le suicide de Démosthène, les Athéniens érigèrent une statue en son honneur et décrétèrent que l’État devait fournir des repas à ses descendants dans le Prytanée.