Le christianisme est en déclin en Europe. Selon le dernier sondage Pew, seuls 71 % des Européens s’identifient encore comme chrétiens, bien que 81 % aient été élevés dans la foi. La plupart ne sont pas pratiquants. Chez les jeunes, la situation est pire. Environ 55 pour cent des jeunes Européens âgés de 16 à 29 ans ne s’identifient à aucune religion, selon une étude de l’Université St. Mary.
A mesure que le christianisme a décliné, la politique européenne s’est sécularisée. Les partis démocrates chrétiens ont perdu leurs identités religieuses distinctives et sont devenus des partis libéraux ou conservateurs génériques. Dans le même temps, les partis verts et socialistes laïques ont augmenté leur pourcentage de voix.
Mais ces dernières années, cette sécularisation politique a connu un renversement notable, bien que peut-être superficiel. La montée du terrorisme islamiste a poussé des partis conservateurs autrefois marginaux à souligner leur identité chrétienne. La Ligue en Italie, le Rassemblement national en France, l’AfD en Allemagne et Vox en Espagne, entre autres, font appel aux racines chrétiennes de l’Europe pour contrer ce qu’ils considèrent comme une forme impérialiste d’islam. Ces partis se concentrent davantage sur l’identité culturelle que sur la foi, bien qu’ils aient formé des alliances avec des croyants authentiques. Rémi Brague a appelé cette forme politique du christianisme « christianisme ».
L’un des principaux partisans du christianisme est Thierry Baudet, du Forum néerlandais pour la démocratie, anti-establishment et anti-UE. Il insiste sur le fait que l’Europe doit reconnaître son héritage chrétien. « Nos nouvelles générations se promènent dans nos villes comme des étrangers, elles n’ont aucune idée de ce que même Pâques ou Noël signifient vraiment, ou de ce que racontent toutes ces histoires dans ces beaux vitraux ou ces églises », m’a-t-il dit.
Santiago Abascal, le chef du parti espagnol conservateur et anti-establishment Vox, déplore également la façon dont les institutions européennes discréditent continuellement leurs racines chrétiennes. « Ils disent à nos jeunes d’oublier tout lien avec le passé », a-t-il déclaré. « Une civilisation qui oublie son passé condamne son avenir (…). Il suffit de parcourir les rues de Londres, Paris ou Bruxelles pour comprendre que le multiculturalisme n’a aucune raison d’exister, si ce n’est pour servir les intérêts des plus puissants. »
Francesca Donato, députée européenne du parti italien de la Ligue, reproche au pape François de ne pas défendre l’identité chrétienne de l’Europe. « Souvent, lorsque les immigrants arrivent illégalement, l’Église propose de les accueillir », a-t-elle déclaré. Selon elle, cela revient à accorder un traitement préférentiel aux migrants et à négliger ceux qui, en Europe, ont besoin du même type d’aide. « Jésus parlait d’aider son prochain, alors nous devrions commencer par aider ceux qui nous sont proches. »
Certains de ces populistes considèrent le christianisme comme un simple élément de l’identité culturelle de l’Europe. D’autres croient et pratiquent véritablement la foi. Dans le climat politique actuel, ces deux forces se rejoignent. Les véritables croyants coopèrent avec les non-croyants.
Abascal, par exemple, est un catholique pratiquant. Matteo Salvini, leader de la Ligue en Italie, a brandi le chapelet lors de ses rassemblements, mais insiste sur le fait qu’il n’est pas un « bon catholique. » Baudet n’est pas non plus religieux, mais a de la sympathie pour le christianisme.
Alors que de nombreux dirigeants catholiques, dont le pape François, se sont montrés ouvertement hostiles au populisme, d’autres sont ouverts à cette alliance. Le cardinal Müller, ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, a récemment soutenu qu’un homme politique qui « brandit symboliquement le chapelet est plus digne de confiance que celui qui démonte littéralement la croix du Christ. » Marcello Pera, un philosophe athée qui a un jour coécrit un livre avec le pape Benoît XVI, a déclaré à ses collègues européens laïques que « nous devons nous appeler chrétiens. »
Les dirigeants chrétiens espèrent que cette alliance conduira à un véritable renouveau de la foi en Europe, mais les dirigeants populistes plus laïques ont peut-être autre chose en tête. Ils n’opposent pas l’islam au traditionalisme chrétien. Ils combattent plutôt les valeurs « illibérales » de l’islam en faisant simplement appel à ce qu’ils considèrent comme les valeurs plus « libérales » du christianisme – celles qui sont compatibles avec une vision laïque du monde.
Par exemple, Salvini fait appel aux « valeurs de la liberté et du christianisme » lorsqu’il s’exprime contre les pratiques islamiques traditionnelles. Lors de son rassemblement à la cathédrale Duomo de Milan avant l’élection de 2018, il a déclaré : « Il est évident que l’interprétation fanatique du Coran est incompatible avec nos valeurs de liberté et de christianisme (…) en tant que père, je veux rappeler comment, dans les écoles, on interdit à certaines mères musulmanes d’apprendre l’italien et de travailler, et aux filles de faire du sport ou d’aller à des fêtes d’anniversaire avec d’autres garçons. » Il a ensuite ajouté que le voile et la burqa étaient une forme de soumission « inacceptable » pour les femmes.
Bien sûr, les dirigeants chrétiens sont d’accord avec les critiques de Salvini sur les aspects oppressifs de l’islam. La liberté n’est pas opposée au christianisme, bien qu’un libéralisme idéologique englobant le soit certainement. Mais si les leaders populistes n’utilisent le christianisme que comme un outil pour s’opposer à l’illibéralisme islamique, l’Europe sera à nouveau une société sans foi après avoir surmonté la menace de l’islam radical. Cette utilisation de la foi risque de faire du christianisme un élément superficiel de ces partis populistes plutôt que leur véritable raison d’être. Reste à savoir si le christianisme conduira à un véritable renouveau du christianisme.
Alessandra Bocchi est une journaliste indépendante italienne.