Le mécanisme de la carence en vitamine B12 induite par l’oméprazole et le risque de développer une anémie macrocytaire, une hyperhomocystéinémie et/ou une neuropathie ?

L’utilisation chronique des inhibiteurs de la pompe à protons, tels que l’oméprazole (Prilosec), est assez courante dans la pratique médicale notamment pour le reflux gastro-œsophagien (RGO) ou chez les patients présentant un risque accru d’ulcère gastroduodénal (UGD). L’utilisation accrue de l’oméprazole est aussi probablement due à sa disponibilité en vente libre et à son utilisation sans ordonnance ni connaissance des professionnels de la santé qui s’occupent du patient. Bien que l’oméprazole soit utile pour le RGO et l’UDP, son utilisation n’est pas sans risque accru d’autres complications, comme un risque accru de pneumonie par aspiration chez certains patients, des interactions médicamenteuses cliniquement pertinentes et des complications liées à une carence en vitamine B12, comme l’anémie macrocytaire, l’hyperhomocystéinémie et/ou des neuropathies.1-7

L’objet de cet article est lié au mécanisme par lequel l’oméprazole pourrait provoquer une carence en vitamine B12. Pour que cette interaction ait un sens, une brève description de la séquence normale des événements pour l’absorption de la vitamine B12 doit être comprise. Si la vitamine B12 est ingérée sous sa forme libre (ou non liée à une protéine), elle se liera à une protéine porteuse connue sous le nom de liant R ou transcobalamine I qui est sécrétée à la fois par les glandes salivaires de l’oropharynx et par les cellules de la muqueuse gastrique à l’intérieur de l’estomac.1,2,8 La vitamine B12 libre ingérée par la bouche restera sous la forme liée à un liant R jusqu’à ce qu’elle atteigne le deuxième segment du duodénum dans l’intestin grêle.

Si la vitamine B12 est ingérée sous sa forme liée aux protéines, alors elle doit d’abord subir un clivage protéolytique dans l’estomac ou le duodénum où elle va se lier à un liant R et ensuite entrer dans le duodénum pour un nouveau clivage.1,2,8 Ce clivage protéolytique dépend principalement de l’activité fonctionnelle de la pepsine. Pour rappel, les cellules principales de l’estomac vont sécréter le pepsinogène dans la lumière de l’estomac. La présence de l’acide chlorhydrique, fourni par les cellules pariétales, est nécessaire pour transformer le pepsinogène en pepsine. La capacité de l’oméprazole à inhiber la production d’acide par les cellules pariétales contribue à une grande partie de son effet sur la vitamine B12 liée aux protéines. La pepsine fonctionnellement active peut alors dégrader la source protéique nouvellement ingérée qui retient la vitamine B12. Lors de la dégradation de la protéine, la vitamine B12 libre sera alors liée, comme ci-dessus, à un liant R ou à la transcobalamine I pour entrer dans le duodénum. Par conséquent, quel que soit l’état moléculaire de la vitamine B12 ingérée, elle est le plus souvent délivrée au duodénum sous forme d’un complexe avec un liantR.

Le facteur intrinsèque est également présent dans le contenu gastrique et intestinal qui contient lavitamine B12 complexée à des liants-R et en cours de livraison au duodénum. En plus de l’acide chlorhydrique sécrété par l’estomac, les cellules pariétales qui fonctionnent correctement sécrètent également le facteur intrinsèque, mais rien n’est lié au facteur intrinsèque à ce stade. À l’entrée du deuxième segment du duodénum, le pancréas sécrète une protéase supplémentaire, qui dégrade les liants R qui retiennent la vitamine B12. C’est à ce moment-là que la vitamine B12 va se lier (ou se complexer) au facteur intrinsèque pour le reste de son voyage vers l’iléon de l’intestin grêle pour l’absorption. Dans l’hypothèse d’un iléon fonctionnellement intact, le complexe vitamine B12/facteur intrinsèque est absorbé par l’entérocyte à ce stade de l’intestin grêle. Lavitamine B12 absorbée se lie alors à la transcobalamine II où environ 50% de lavitamine B12 sera délivrée au foie et le reste à d’autres tissus.

Comme indiqué précédemment, la capacité de l’oméprazole à supprimer la production d’acide gastrique peut altérer la conversion du pepsinogène en pepsine. Si la formation de pepsine est compromise, la capacité de la vitamine B12 liée aux protéines à être libérée pour des préparations supplémentaires pour l’absorption sera compromise.2-7 De plus, l’augmentation du pH gastrique contribue également à un plus grand degré de colonisation bactérienne et de réplication dans le tractus gastro-intestinal, conduisant ainsi potentiellement à une surcroissance bactérienne.2 Si la surcroissance bactérienne se produit également, alors la vitamine B12 supplémentaire qui a été initialement ingérée pour être absorbée sera utilisée par les bactéries entériques, réduisant ainsi la quantité finale de vitamine B12 disponible pour l’absorption dans l’iléon terminal de l’intestin grêle.

Par conséquent, puisque l’oméprazole n’entrave que l’absorption de la vitamine B12 liée aux protéines provenant de sources alimentaires d’origine animale, l’utilisation de la vitamine B12 libre ou non liée (telle que lacyanocobalamine) n’est pas affectée et peut être utilisée en toute sécurité pour corriger la carence en vitamine B12, en particulier si le patient ne peut pas arrêter de prendre l’oméprazole.

  1. Institut de médecine. Conseil de l’alimentation et de la nutrition. Apports nutritionnels de référence : Thiamine, Riboflavine, Niacine, Vitamine B6, Folate, Vitamine B12,Acide pantothénique, Biotine, et Choline. Washington, DC : National AcademyPress, 1998.
  2. National Institutes of Health. Office of Dietary Supplements. Fiche d’information sur les suppléments diététiques : Vitamine B12. Bethesda, Maryland. 05/26/2010.
  3. Ruscin JM, Page RL 2nd, Valuck RJ. Carence en vitamine B(12) associée aux antagonistes des récepteurs de l’histamine (2) et à l’inhibiteur de la pompe à protons. Ann Pharmacother 2002;36:812-6.
  4. Saltzman JR, Kemp JA, Golner BB et al. Effet de l’hypochlorhydrie due au traitement à l’oméprazole ou à la gastrite atrophique sur l’absorption de la vitamine B12 liée aux protéines. J Am Coll Nutr 1994;13:584-91.
  5. Schenk BE, Festen HP, Kuipers EJ et al. Effet d’un traitement à court et à long terme par l’oméprazole sur l’absorption et les taux sériques de cobalamine. Aliment Pharmacol Ther 1996;10:541-5.
  6. Bradford GS, Taylor CT. Oméprazole et carence en vitamine B12. Ann Pharmacother 1999;33:641-3.
  7. Bellou A, Aimone-Gastin I, De Korwin JD et al. Cobalamindeficiency with megaloblastic anaemia in one patient under long-termomeprazole therapy. J Intern Med 1996;240:161-4.

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