Tractatus Logico-Philosophicus

Illustration de la structure du Tractatus. Seuls les énoncés primaires et secondaires sont reproduits, tandis que la structure du reste est indiquée de manière imagée.

Il y a sept propositions principales dans le texte. Ce sont :

  1. Le monde est tout ce qui est le cas.
  2. Ce qui est le cas (un fait) est l’existence d’états de choses.
  3. Une image logique des faits est une pensée.
  4. Une pensée est une proposition avec un sens.
  5. Une proposition est une fonction de vérité de propositions élémentaires. (Une proposition élémentaire est une fonction de vérité d’elle-même.)
  6. La forme générale d’une proposition est la forme générale d’une fonction de vérité, qui est : {\displaystyle }

    . C’est la forme générale d’une proposition.

  7. Là où l’on ne peut pas parler, il faut se taire.

Proposition 1Edit

Le premier chapitre est très bref:

  • 1 Le monde est tout ce qui est le cas.
  • 1.1 Le monde est la totalité des faits, non des choses.
  • 1.11 Le monde est déterminé par les faits, et par le fait qu’ils sont tous les faits.
  • 1.12 Car la totalité des faits détermine ce qui est le cas, et aussi tout ce qui n’est pas le cas.
  • 1.13 Les faits dans l’espace logique sont le monde.
  • 1.2 Le monde se divise en faits.
  • 1.21 Chaque élément peut être le cas ou non le cas alors que tout le reste reste le même.

Ceci ainsi que le début de deux peuvent être considérés comme les parties pertinentes du point de vue métaphysique de Wittgenstein qu’il utilisera pour soutenir sa théorie des images du langage.

Propositions 2 et 3Edit

Ces sections concernent le point de vue de Wittgenstein selon lequel le monde sensible et changeant que nous percevons n’est pas constitué de substance mais de faits. La proposition deux commence par une discussion sur les objets, la forme et la substance.

  • 2 Ce qui est le cas – un fait – est l’existence d’états de choses.
  • 2.01 Un état de choses (un état de choses) est une combinaison d’objets (choses).

Cette notion épistémique est précisée par une discussion sur les objets ou les choses en tant que substances métaphysiques.

  • 2.0141 La possibilité de son apparition dans les faits atomiques est la forme d’un objet.
  • 2.02 Les objets sont simples.
  • 2.021 Les objets constituent la substance du monde. C’est pourquoi ils ne peuvent pas être composites.

Son utilisation du mot « composite » en 2.021 peut être prise pour signifier une combinaison de forme et de matière, au sens platonicien.

La notion d’une Forme statique immuable et de son identité avec la Substance représente le point de vue métaphysique qui est devenu une hypothèse pour la grande majorité de la tradition philosophique occidentale depuis Platon et Aristote, car c’était quelque chose sur lequel ils étaient d’accord. « Ce qui est appelé forme ou substance n’est pas engendré ». (Z.8 1033b13)Le point de vue opposé affirme que la forme inaltérable n’existe pas, ou du moins, si une telle chose existe, elle contient une substance relative en perpétuel changement, dans un état constant de flux. Bien que cette opinion ait été défendue par des Grecs comme Héraclite, elle n’a existé qu’en marge de la tradition occidentale depuis lors. Elle n’est plus connue que dans les conceptions métaphysiques « orientales » où le concept primaire de substance est le Qi, ou quelque chose de similaire, qui persiste à travers et au-delà de toute forme donnée. Le premier point de vue est montré comme étant tenu par Wittgenstein dans ce qui suit:

  • 2.024 La substance est ce qui subsiste indépendamment de ce qui est le cas.
  • 2.025 Elle est forme et contenu.
  • 2.026 Il faut qu’il y ait des objets, si le monde doit avoir une forme inaltérable.
  • 2.027 Les objets, l’inaltérable et la substance sont une seule et même chose.
  • 2.0271 Les objets sont ce qui est inaltérable et substantiel ; leur configuration est ce qui est changeant et instable.

Bien que Wittgenstein ait largement méprisé Aristote (la biographie de Ray Monk suggère qu’il n’a jamais lu Aristote du tout), il semble qu’ils aient partagé certaines vues antiplatonistes sur la question universel/particulier concernant les substances primaires. Il s’attaque explicitement aux universaux dans son Livre bleu : « L’idée qu’un concept général est une propriété commune de ses instances particulières se rattache à d’autres idées primitives, trop simples, de la structure du langage. Elle est comparable à l’idée que les propriétés sont des ingrédients des choses qui ont les propriétés ; par exemple, que la beauté est un ingrédient de toutes les belles choses comme l’alcool l’est de la bière et du vin, et que nous pourrions donc avoir une beauté pure, non altérée par tout ce qui est beau. »

Et Aristote est d’accord : « L’universel ne peut pas être une substance de la manière dont est une essence […]. » (Z.13 1038b17) alors qu’il commence à tracer la ligne et à s’éloigner des concepts de Formes universelles détenus par son maître Platon.

Le concept d’Essence, pris seul est une potentialité, et sa combinaison avec la matière est son actualité. « Premièrement, la substance d’une chose lui est propre et n’appartient à aucune autre chose » (Z.13 1038b10), c’est-à-dire non universelle et nous savons que c’est l’essence. Ce concept de forme/substance/essence, que nous avons maintenant effondré en un seul, se présentant comme potentiel est aussi, apparemment, tenu par Wittgenstein :

  • 2.033 La forme est la possibilité de la structure.
  • 2.034 La structure d’un fait se compose des structures des états de choses.
  • 2.04 La totalité des états de choses existants est le monde.
  • 2.063 La somme-totale de la réalité est le monde.

Voici la fin de ce que Wittgenstein juge être les points pertinents de son point de vue métaphysique et il commence en 2.1 à utiliser ledit point de vue pour soutenir sa théorie imagée du langage. « La notion de substance du Tractatus est l’analogue modal de la notion temporelle de Kant. Alors que pour Kant, la substance est ce qui ‘persiste’ (c’est-à-dire, Que les notions aristotéliciennes de substance soient arrivées à Wittgenstein par l’intermédiaire d’Emmanuel Kant ou de Bertrand Russell, ou même que Wittgenstein soit arrivé à ses notions intuitivement, on ne peut que les voir.

L’autre thèse de 2. et 3. et leurs propositions subsidiaires est la théorie imagée du langage de Wittgenstein. Celle-ci peut être résumée comme suit :

  • Le monde consiste en une totalité de faits atomiques interconnectés, et les propositions font des « images » du monde.
  • Pour qu’une image représente un certain fait, elle doit, d’une certaine manière, posséder la même structure logique que le fait. L’image est une norme de la réalité. De cette façon, l’expression linguistique peut être considérée comme une forme de projection géométrique, où le langage est la forme changeante de la projection, mais la structure logique de l’expression est la relation géométrique immuable.
  • Nous ne pouvons pas dire avec le langage ce qui est commun dans les structures, il faut plutôt le montrer, car tout langage que nous utilisons s’appuiera également sur cette relation, et nous ne pouvons donc pas sortir de notre langage avec le langage.

Propositions 4.N à 5.NEdit

Les 4 sont importantes car elles contiennent certaines des déclarations les plus explicites de Wittgenstein concernant la nature de la philosophie et la distinction entre ce qui peut être dit et ce qui peut seulement être montré. C’est ici, par exemple, qu’il distingue pour la première fois les propositions matérielles et grammaticales, en notant :

4.003 La plupart des propositions et des questions que l’on trouve dans les ouvrages philosophiques ne sont pas fausses mais insensées. Par conséquent, nous ne pouvons pas donner de réponse aux questions de ce genre, mais nous pouvons seulement signaler qu’elles sont absurdes. La plupart des propositions et des questions des philosophes proviennent de notre incapacité à comprendre la logique de notre langue. (Elles appartiennent à la même classe que la question de savoir si le bien est plus ou moins identique au beau). Et il n’est pas surprenant que les problèmes les plus profonds ne soient en fait pas des problèmes du tout.

Un traité philosophique tente de dire quelque chose là où rien ne peut être dit correctement. Il est fondé sur l’idée que la philosophie devrait être poursuivie d’une manière analogue aux sciences naturelles ; que les philosophes cherchent à construire des théories vraies. Ce sens de la philosophie ne coïncide pas avec la conception de la philosophie de Wittgenstein.

4.1 Les propositions représentent l’existence et la non-existence d’états de choses.
4.11 La totalité des propositions vraies est l’ensemble des sciences naturelles (ou l’ensemble du corpus des sciences naturelles).
4.111 La philosophie n’est pas une des sciences naturelles. (Le mot « philosophie » doit signifier quelque chose dont la place est au-dessus ou au-dessous des sciences naturelles, et non à côté d’elles.)
4.112 La philosophie vise à la clarification logique des pensées. La philosophie n’est pas un corps de doctrine mais une activité. Une œuvre philosophique consiste essentiellement en élucidations. La philosophie n’aboutit pas à des « propositions philosophiques », mais à la clarification des propositions. Sans la philosophie, les pensées sont, pour ainsi dire, nuageuses et indistinctes : sa tâche est de les rendre claires et de leur donner des limites nettes.

4.113 La philosophie fixe des limites à la sphère très disputée des sciences naturelles.
4.114 Elle doit fixer des limites à ce qui peut être pensé ; et, ce faisant, à ce qui ne peut être pensé. Elle doit fixer des limites à ce qui ne peut pas être pensé en travaillant vers l’extérieur à travers ce qui peut être pensé.
4.115 Elle signifiera ce qui ne peut pas être dit, en présentant clairement ce qui peut être dit.

On doit attribuer à Wittgenstein l’invention ou du moins la vulgarisation des tables de vérité (4.31) et des conditions de vérité (4.431) qui constituent maintenant l’analyse sémantique standard de la logique sententielle du premier ordre. La signification philosophique d’une telle méthode pour Wittgenstein est qu’elle permet de dissiper une confusion, à savoir l’idée que les inférences logiques sont justifiées par des règles. Si une forme d’argument est valide, la conjonction des prémisses sera logiquement équivalente à la conclusion et ceci peut être clairement vu dans une table de vérité ; elle est affichée. Le concept de tautologie est donc central dans le récit tractarien de Wittgenstein sur la conséquence logique, qui est strictement déductive.

5.13 Lorsque la vérité d’une proposition découle de la vérité d’autres, nous pouvons le voir à partir de la structure des propositions.
5.131 Si la vérité d’une proposition découle de la vérité des autres, cela trouve son expression dans les relations dans lesquelles les formes des propositions se tiennent les unes aux autres : il n’est pas non plus nécessaire que nous établissions ces relations entre elles, en les combinant les unes avec les autres dans une seule proposition ; au contraire, les relations sont internes, et leur existence est un résultat immédiat de l’existence des propositions.

5.132 Si p découle de q, je peux faire une inférence de q à p, déduire p de q. La nature de l’inférence ne peut être recueillie que par les deux propositions. Elles sont elles-mêmes la seule justification possible de l’inférence. « Les « lois d’inférence », qui sont censées justifier les inférences, comme dans les travaux de Frege et de Russell, n’ont aucun sens, et seraient superflues.

Proposition 6.NEdit

Au début de la proposition 6, Wittgenstein postule la forme essentielle de toutes les phrases. Il utilise la notation {\displaystyle }

, où

  • p ¯ {\displaystyle {\bar {p}}}
    \bar p

    représente toutes les propositions atomiques,

  • ξ ¯ {\displaystyle {\bar {\xi}}
    \bar\xi

    représente tout sous-ensemble de propositions, et

  • N ( ξ ¯ ) {\displaystyle N({\bar {\xi }})}
    N(\bar\xi)

    représente la négation de toutes les propositions composant ξ ¯ {\displaystyle {\bar {\xi }}.

    \bar\xi

    .

La proposition 6 dit que toute phrase logique peut être dérivée d’une série d’opérations NOR sur la totalité des propositions atomiques. Wittgenstein s’est inspiré du théorème logique de Henry M. Sheffer faisant cette affirmation dans le contexte du calcul propositionnel. L’opérateur N de Wittgenstein est un analogue infinitaire plus large du trait de Sheffer, qui appliqué à un ensemble de propositions produit une proposition qui est équivalente à la négation de chaque membre de cet ensemble. Wittgenstein montre que cet opérateur peut faire face à l’ensemble de la logique des prédicats avec identité, en définissant les quantificateurs à 5.52, et en montrant comment l’identité serait alors traitée à 5.53-5.532.

Les filiales de 6. contiennent plus de réflexions philosophiques sur la logique, se connectant aux idées de la connaissance, de la pensée, et de l’a priori et du transcendantal. Les derniers passages soutiennent que la logique et les mathématiques n’expriment que des tautologies et sont transcendantales, c’est-à-dire qu’elles se trouvent en dehors du monde du sujet métaphysique. À son tour, un langage logiquement  » idéal  » ne peut pas fournir de sens, il ne peut que refléter le monde, et ainsi, les phrases dans un langage logique ne peuvent pas rester significatives si elles ne sont pas simplement des reflets des faits.

À partir des propositions 6.4-6.54, le Tractatus déplace son centre d’intérêt des considérations principalement logiques à ce qui peut être considéré comme des foyers plus traditionnellement philosophiques (Dieu, l’éthique, la méta-éthique, la mort, la volonté) et, moins traditionnellement avec ceux-ci, le mystique. La philosophie du langage présentée dans le Tractatus tente de démontrer quelles sont les limites du langage – de délimiter précisément ce qui peut et ne peut pas être dit de façon sensorielle. Pour Wittgenstein, les propositions de la science naturelle font partie de ce qui peut être dit de façon sensée, et les sujets traditionnellement associés à la philosophie – l’éthique et la métaphysique, par exemple – font partie de ce qui n’est pas sensé ou ne peut être dit. Curieusement, à ce sujet, l’avant-dernière proposition du Tractatus, la proposition 6.54, affirme qu’une fois que l’on aura compris les propositions du Tractatus, on reconnaîtra qu’elles sont insensées, et qu’elles doivent être jetées. La proposition 6.54, alors, présente un problème interprétatif difficile. Si la soi-disant  » théorie de l’image  » de la signification est correcte, et qu’il est impossible de représenter une forme logique, alors la théorie, en essayant de dire quelque chose sur la façon dont le langage et le monde doivent être pour qu’il y ait une signification, s’auto-supprime. En d’autres termes, la « théorie des images » de la signification exige elle-même que l’on dise quelque chose sur la forme logique que les phrases doivent partager avec la réalité pour que la signification soit possible. Cela exige de faire précisément ce que la  » théorie des images  » de la signification exclut. Il semblerait, alors, que la métaphysique et la philosophie du langage endossées par le Tractatus donnent lieu à un paradoxe : pour que le Tractatus soit vrai, il devra nécessairement être absurde par auto-application ; mais pour que cette auto-application rende les propositions du Tractatus absurdes (au sens tractarien), alors le Tractatus doit être vrai.

Il y a trois approches principalement dialectiques pour résoudre ce paradoxe le point de vue traditionaliste, ou des vérités ineffables ; 2) le point de vue résolu,  » nouveau Wittgenstein « , ou pas du tout absurde ; 3) le point de vue sans vérités du tout. L’approche traditionaliste pour résoudre ce paradoxe consiste à considérer que Wittgenstein a accepté que les énoncés philosophiques ne pouvaient pas être faits, mais que néanmoins, en faisant appel à la distinction entre dire et montrer, ces vérités peuvent être communiquées en montrant. Dans la lecture résolue, certaines des propositions du Tractatus sont retenues de l’auto-application, elles ne sont pas elles-mêmes un non-sens, mais soulignent la nature non-sensée du Tractatus. Ce point de vue fait souvent appel au soi-disant ‘cadre’ du Tractatus, comprenant la préface et les propositions 6.54. Le point de vue de l’absence totale de vérité affirme que Wittgenstein considérait les propositions du Tractatus comme étant ambiguës, à la fois vraies et absurdes, en même temps. Alors que les propositions ne pouvaient pas être, par auto-application de la philosophie du Tractatus, vraies (ou même sensées), c’était seulement la philosophie du Tractatus elle-même qui pouvait les rendre ainsi. C’est vraisemblablement ce qui a poussé Wittgenstein à accepter la philosophie du Tractatus comme ayant spécialement résolu les problèmes de la philosophie. C’est la philosophie du Tractatus, seule, qui peut résoudre les problèmes. En effet, la philosophie du Tractatus n’est pour Wittgenstein, selon ce point de vue, problématique que lorsqu’elle est appliquée à elle-même.

À la fin du texte, Wittgenstein utilise une analogie d’Arthur Schopenhauer, et compare le livre à une échelle qu’il faut jeter après l’avoir gravie.

Proposition 7Edit

En tant que dernière ligne du livre, la proposition 7 n’a pas de propositions supplémentaires. Elle termine le livre avec la proposition « Où l’on ne peut pas parler, on doit se taire. » (« Wovon man nicht sprechen kann, darüber muss man schweigen. »)

La théorie de l’imageEdit

Un point de vue proéminent exposé dans le Tractatus est la théorie de l’image, parfois appelée théorie de l’image du langage. La théorie de l’image est une explication proposée de la capacité du langage et de la pensée à représenter le monde.:p44 Bien que quelque chose n’ait pas besoin d’être une proposition pour représenter quelque chose dans le monde, Wittgenstein était largement concerné par la façon dont les propositions fonctionnent en tant que représentations.

Selon la théorie, les propositions peuvent « se représenter » le monde comme étant d’une certaine façon, et donc le représenter avec précision, soit réellement, soit faussement. Si quelqu’un pense la proposition « Il y a un arbre dans la cour », alors cette proposition représente fidèlement le monde si et seulement si il y a un arbre dans la cour.:p53 Un aspect des images que Wittgenstein trouve particulièrement éclairant par rapport au langage est le fait que nous pouvons voir directement dans l’image quelle situation elle dépeint sans savoir si la situation existe réellement. Cela permet à Wittgenstein d’expliquer comment des propositions fausses peuvent avoir un sens (un problème avec lequel Russell s’est débattu pendant de nombreuses années) : tout comme nous pouvons voir directement dans l’image la situation qu’elle dépeint sans savoir si elle existe réellement, de manière analogue, lorsque nous comprenons une proposition, nous saisissons ses conditions de vérité ou son sens, c’est-à-dire que nous savons ce que le monde doit être si elle est vraie, sans savoir si elle est réellement vraie (TLP 4.024, 4.431).

On pense que Wittgenstein s’est inspiré pour cette théorie de la façon dont les tribunaux de la circulation à Paris reconstituent les accidents automobiles.:p35 Une voiture jouet est une représentation d’une voiture réelle, un camion jouet est une représentation d’un camion réel, et les poupées sont des représentations de personnes. Afin de faire comprendre à un juge ce qui s’est passé lors d’un accident de voiture, une personne présente dans la salle d’audience peut placer les voitures jouets dans une position similaire à celle des vraies voitures, et les faire bouger de la même manière que les vraies voitures. De cette façon, les éléments de l’image (les voitures-jouets) sont en relation spatiale les uns avec les autres, et cette relation image elle-même la relation spatiale entre les voitures réelles dans l’accident automobile.:p45

Les images ont ce que Wittgenstein appelle Form der Abbildung ou forme picturale, qu’elles partagent avec ce qu’elles représentent. Cela signifie que toutes les dispositions logiquement possibles des éléments picturaux de l’image correspondent aux possibilités de disposition des choses qu’elles représentent dans la réalité. Ainsi, si le modèle de la voiture A se trouve à gauche du modèle de la voiture B, cela signifie que les voitures dans le monde sont disposées de la même manière les unes par rapport aux autres. Selon Wittgenstein, cette relation picturale est la clé pour comprendre la relation qu’une proposition entretient avec le monde. Bien que le langage diffère des images par l’absence d’un mode de représentation pictural direct (par exemple, il n’utilise pas de couleurs et de formes pour représenter des couleurs et des formes), Wittgenstein pense néanmoins que les propositions sont des images logiques du monde du fait qu’elles partagent une forme logique avec la réalité qu’elles représentent (TLP 2.18-2.2). Et cela, pensait-il, explique comment nous pouvons comprendre une proposition sans que son sens nous ait été expliqué (TLP 4.02), nous pouvons directement voir dans la proposition ce qu’elle représente comme nous voyons dans l’image la situation qu’elle dépeint juste en vertu de la connaissance de sa méthode de représentation : les propositions montrent leur sens (TLP 4.022).

Cependant, Wittgenstein affirmait que les images ne peuvent pas représenter leur propre forme logique, elles ne peuvent pas dire ce qu’elles ont en commun avec la réalité mais peuvent seulement le montrer (TLP 4.12-4.121). Si la représentation consiste à dépeindre un arrangement d’éléments dans l’espace logique, alors l’espace logique lui-même ne peut pas être représenté puisqu’il n’est lui-même pas un arrangement de quoi que ce soit ; plutôt la forme logique est une caractéristique d’un arrangement d’objets et donc elle peut être correctement exprimée (c’est-à-dire représentée) dans le langage par un arrangement analogue des signes pertinents dans les phrases (qui contiennent les mêmes possibilités de combinaison que celles prescrites par la syntaxe logique), donc la forme logique ne peut être montrée qu’en présentant les relations logiques entre différentes phrases.

La conception de Wittgenstein de la représentation en tant qu’image lui permet également de dériver deux affirmations frappantes : qu’aucune proposition ne peut être connue a priori – il n’y a pas de vérités apriori (TLP 3.05), et qu’il n’y a que la nécessité logique (TLP 6.37). Puisque toutes les propositions, en vertu du fait qu’elles sont des images, ont un sens indépendamment de tout ce qui est le cas dans la réalité, nous ne pouvons pas voir à partir de la proposition seule si elle est vraie (comme ce serait le cas si elle pouvait être connue apriori), mais nous devons la comparer à la réalité afin de savoir qu’elle est vraie (TLP 4.031 « Dans la proposition un état de choses est, pour ainsi dire, mis ensemble pour l’expérience. »). Et pour des raisons similaires, aucune proposition n’est nécessairement vraie, sauf dans le cas limité des tautologies, dont Wittgenstein dit qu’elles n’ont pas de sens (TLP 4.461). Si une proposition dépeint un état de choses en vertu du fait qu’elle est une image dans l’espace logique, alors une « vérité nécessaire » non-logique ou métaphysique serait un état de choses qui est satisfait par n’importe quel arrangement possible d’objets (puisqu’elle est vraie pour n’importe quel état de choses possible), mais cela signifie que la proposition qui serait nécessaire ne dépeindrait rien comme étant ainsi mais serait vraie peu importe comment le monde est réellement ; mais si c’est le cas, alors la proposition ne peut rien dire du monde ou décrire un quelconque fait dans celui-ci – elle ne serait pas corrélée à un état de choses particulier, tout comme une tautologie (TLP 6.37).

Atomisme logiqueEdit

Le Tractatus a été publié pour la première fois dans Annalen der Naturphilosophie (1921)

Bien que Wittgenstein n’ait pas utilisé le terme lui-même, sa vision métaphysique tout au long du Tractatus est communément appelée atomisme logique. Bien que son atomisme logique ressemble à celui de Bertrand Russell, les deux points de vue ne sont pas strictement identiques.:p58

La théorie des descriptions de Russell est une manière d’analyser logiquement les phrases contenant des descriptions définies sans présupposer l’existence d’un objet satisfaisant la description. Selon cette théorie, une phrase comme « Il y a un homme à ma gauche » doit être analysée en : « Il existe un certain x tel que x est un homme et x est à ma gauche, et pour tout y, si y est un homme et y est à ma gauche, y est identique à x ». Si l’énoncé est vrai, x se réfère à l’homme à ma gauche.

Alors que Russell pensait que les noms (comme x) dans sa théorie devaient se référer à des choses que nous pouvons connaître directement en vertu de la connaissance, Wittgenstein ne croyait pas qu’il y ait de contraintes épistémiques sur les analyses logiques : les objets simples sont tout ce qui est contenu dans les propositions élémentaires qui ne peuvent pas être analysées logiquement plus avant.:p63

Par objets, Wittgenstein n’entendait pas les objets physiques du monde, mais la base absolue de l’analyse logique, qui peut être combinée mais non divisée (TLP 2.02-2.0201). Selon le système métaphysique logico-atomique de Wittgenstein, les objets ont chacun une « nature », qui est leur capacité à se combiner avec d’autres objets. Lorsqu’ils se combinent, les objets forment des « états de choses ». Un état de choses qui se produit est un « fait ». Les faits constituent la totalité du monde. Les faits sont logiquement indépendants les uns des autres, tout comme les états de fait. C’est-à-dire que l’existence d’un état de choses (ou d’un fait) ne nous permet pas de déduire si un autre état de choses (ou un fait) existe ou n’existe pas.:pp58-59

A l’intérieur des états de choses, les objets sont dans des relations particulières les uns par rapport aux autres.:p59 C’est analogue aux relations spatiales entre les voitures-jouets évoquées plus haut. La structure des états de choses provient de l’arrangement de leurs objets constitutifs (TLP 2.032), et cet arrangement est essentiel à leur intelligibilité, tout comme les voitures-jouets doivent être arrangées d’une certaine manière afin d’imaginer l’accident de voiture.

Un fait pourrait être considéré comme l’état de choses obtenu que Madison est dans le Wisconsin, et un état de choses possible (mais non obtenu) pourrait être que Madison soit dans l’Utah. Ces états de choses sont constitués de certains arrangements d’objets (TLP 2.023). Cependant, Wittgenstein ne précise pas ce que sont les objets. Madison, le Wisconsin et l’Utah ne peuvent pas être des objets atomiques : ils sont eux-mêmes composés de nombreux faits. Au lieu de cela, Wittgenstein pensait que les objets étaient les choses dans le monde qui seraient corrélées aux plus petites parties d’un langage logiquement analysé, comme des noms comme x. Notre langage n’est pas suffisamment (c’est-à-dire pas complètement) analysé pour une telle corrélation, donc on ne peut pas dire ce qu’est un objet :p60 Nous pouvons, cependant, parler d’eux comme « indestructibles » et « communs à tous les mondes possibles ». Wittgenstein pensait que le travail du philosophe était de découvrir la structure du langage par l’analyse.:p38

Anthony Kenny fournit une analogie utile pour comprendre l’atomisme logique de Wittgenstein : un jeu d’échecs légèrement modifié.:pp60-61 Tout comme les objets dans les états de choses, les pièces d’échecs ne constituent pas à elles seules le jeu – leurs arrangements, ainsi que les pièces (objets) elles-mêmes, déterminent l’état de choses.

À travers l’analogie des échecs de Kenny, nous pouvons voir la relation entre l’atomisme logique de Wittgenstein et sa théorie imagée de la représentation.:p61 Pour les besoins de cette analogie, les pièces d’échecs sont des objets, elles et leurs positions constituent des états de choses et donc des faits, et la totalité des faits est le jeu d’échecs particulier entier.

Nous pouvons communiquer un tel jeu d’échecs de la manière exacte dont Wittgenstein dit qu’une proposition représente le monde. Nous pourrions dire « WR/KR1 » pour communiquer la présence d’une tour blanche sur la case communément appelée tour du roi 1. Ou, pour être plus complet, nous pourrions faire un tel rapport pour la position de chaque pièce.

La forme logique de nos rapports doit être la même forme logique des pièces d’échecs et de leur disposition sur l’échiquier afin d’être significative. Notre communication sur le jeu d’échecs doit avoir autant de possibilités pour les constituants et leur arrangement que le jeu lui-même. Kenny souligne que cette forme logique ne doit pas nécessairement ressembler strictement au jeu d’échecs. La forme logique peut être obtenue par le rebond d’une balle (par exemple, vingt rebonds peuvent communiquer la présence d’une tour blanche sur la case 1 de la tour du roi). On peut faire rebondir une balle autant de fois qu’on le souhaite, ce qui signifie que le rebondissement de la balle a une  » multiplicité logique « , et peut donc partager la forme logique du jeu.:p62 Une balle immobile ne peut pas communiquer cette même information, car elle n’a pas de multiplicité logique.

Distinction entre dire et montrerModifier

Selon la lecture traditionnelle du Tractatus, les vues de Wittgenstein sur la logique et le langage l’ont amené à penser que certaines caractéristiques du langage et de la réalité ne peuvent être exprimées dans le langage sensible, mais seulement « montrées » par la forme de certaines expressions. Ainsi, par exemple, selon la théorie de l’image, lorsqu’une proposition est pensée ou exprimée, cette proposition représente la réalité (réellement ou faussement) en vertu du partage de certaines caractéristiques communes avec cette réalité. Cependant, ces caractéristiques elles-mêmes sont quelque chose dont Wittgenstein affirmait que nous ne pouvions rien dire, parce que nous ne pouvons pas décrire la relation que les images entretiennent avec ce qu’elles dépeignent, mais seulement la montrer via des propositions énonçant des faits (TLP 4.121). Ainsi, nous ne pouvons pas dire qu’il existe une correspondance entre le langage et la réalité, mais la correspondance elle-même ne peut être que démontrée, :p56 puisque notre langage n’est pas capable de décrire sa propre structure logique.:p47

Cependant, selon l’interprétation « résolue » plus récente du Tractatus (voir ci-dessous), les remarques sur le « montrer » n’étaient pas en fait une tentative de Wittgenstein de faire un geste vers l’existence de certaines caractéristiques ineffables du langage ou de la réalité, mais plutôt, comme Cora Diamond et James Conant l’ont soutenu, la distinction était destinée à établir un contraste net entre la logique et le discours descriptif. Selon leur lecture, Wittgenstein voulait effectivement dire que certaines choses sont montrées lorsque nous réfléchissons à la logique de notre langage, mais ce qui est montré n’est pas que quelque chose est le cas, comme si nous pouvions en quelque sorte le penser (et donc comprendre ce que Wittgenstein essaie de nous montrer) mais que, pour une raison quelconque, nous ne pouvions tout simplement pas le dire. Comme l’expliquent Diamond et Conant :

Parler et penser sont différents des activités dont la maîtrise pratique n’a pas de côté logique ; et ils diffèrent d’activités comme la physique dont la maîtrise pratique implique la maîtrise d’un contenu spécifique à l’activité. Selon Wittgenstein, la maîtrise de la langue ne dépend pas, en tant que telle, de la maîtrise, même inexplicite, d’une sorte de contenu. L’articulation logique de l’activité elle-même peut être mise en évidence, sans que cela implique que nous prenions conscience de quoi que ce soit. Lorsque nous parlons de l’activité d’éclaircissement philosophique, la grammaire peut nous imposer l’utilisation de verbes « que » et de constructions « quoi » dans les descriptions que nous donnons des résultats de l’activité. Mais, on pourrait dire que le  » jet de l’échelle  » final implique la reconnaissance que cette grammaire du  » quoi  » nous a trompés de façon omniprésente, même lorsque nous lisons le Tractatus. Atteindre le type pertinent de conscience de plus en plus raffinée de la logique de notre langage n’est pas saisir un contenu de quelque sorte que ce soit.

De même, Michael Kremer a suggéré que la distinction de Wittgenstein entre dire et montrer pourrait être comparée à la célèbre distinction de Gilbert Ryle entre « savoir que » et « savoir comment ». De même que la connaissance ou l’habileté pratique (comme faire du vélo) n’est pas réductible à la connaissance propositionnelle selon Ryle, Wittgenstein pensait aussi que la maîtrise de la logique de notre langage est une habileté pratique unique qui n’implique aucune sorte de « savoir que » propositionnel, mais qui se reflète plutôt dans notre capacité à opérer avec des phrases pleines de sens et à saisir leurs relations logiques internes.

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