Empereur des Romains

La prodigieuse gamme d’activités de Charlemagne au cours des 30 premières années de son règne a été le prélude à ce que certains contemporains et de nombreux observateurs ultérieurs ont considéré comme l’événement culminant de son règne : son couronnement comme empereur romain. Dans une large mesure, cet événement était la conséquence d’une idée façonnée par l’interprétation donnée aux actions de Charlemagne en tant que souverain. Au fil des ans, certains des principaux conseillers politiques, religieux et culturels du roi ont acquis la conviction qu’une nouvelle communauté était en train de prendre forme sous l’égide du roi et du peuple franc, que, comme l’a déclaré un pape, « le Seigneur Dieu d’Israël a béni ». Ils parlent de cette communauté comme de l’imperium Christianum, comprenant tous ceux qui adhèrent à la foi orthodoxe proclamée par l’église romaine. Cette communauté acceptait la domination d’un monarque de plus en plus salué comme le « nouveau David » et le « nouveau Constantin », le gardien de la chrétienté et l’exécuteur de la volonté de Dieu. La préoccupation pour le bien-être de l’imperium Christianum était renforcée par la perception de l’inaptitude des empereurs hérétiques de Constantinople à revendiquer l’autorité sur la communauté chrétienne, en particulier après qu’une femme, Irène, soit devenue empereur d’Orient en 797. Dans un sens plus large, les développements du 8e siècle ont produit la perception dans le monde carolingien que l’Occident latin et l’Orient grec divergeaient d’une manière qui niait les revendications universalistes des empereurs orientaux.

Charlemagne
Charlemagne

Charlemagne, chromolithographie.

© Photos.com/Jupiterimages

Puis, en 799, une menace encore plus grande pour le bien-être de l’imperium Christianum est apparue. La capacité du pape à diriger le peuple de Dieu a été remise en question lorsque le pape Léon III a été physiquement attaqué par une faction de Romains, y compris des hauts fonctionnaires de la curie papale, qui croyaient qu’il était coupable de tyrannie et de faute personnelle grave. Léon s’enfuit à la cour de son protecteur, dont le rôle de recteur de la chrétienté était désormais révélé de façon spectaculaire. Charlemagne fournit une escorte qui rétablit Léon III dans sa fonction papale ; puis, après de longues consultations en Francie, il se rendit à Rome à la fin de l’année 800 pour faire face à la délicate question du jugement du vicaire de saint Pierre et du rétablissement de l’ordre dans les États pontificaux. Après une série de délibérations avec des notables francs et romains, clercs et laïcs, il fut convenu qu’au lieu d’être jugé, le pape prêterait publiquement serment de se purifier des accusations portées contre lui ; certains indices dans le dossier suggèrent que ces délibérations ont également conduit à la décision de redéfinir la position de Charlemagne. Deux jours après l’acte de purgation de Léon, alors que Charlemagne assiste à la messe du jour de Noël dans la basilique Saint-Pierre, le pape place une couronne sur sa tête, tandis que les Romains assemblés pour le culte le proclament  » empereur des Romains. »

Charlemagne et Léon III
Charlemagne et Léon III

Le pape Léon III couronnant Charlemagne empereur, le 25 décembre 800.

SuperStock

Les historiens ont longtemps débattu de la responsabilité de cet événement dramatique. Malgré l’affirmation d’Einhard, le biographe de la cour de Charlemagne, selon laquelle le roi ne se serait pas rendu à Saint-Pierre en ce jour fatidique s’il avait su ce qui allait se passer, les preuves ne laissent guère de doute sur le fait que le roi et le pape ont collaboré à la planification du couronnement : la restauration de l’Empire romain en Occident était avantageuse pour les deux. Étant donné la position précaire du pape à ce moment-là et le penchant du roi pour les actions audacieuses, il semble très probable que Charlemagne et ses conseillers aient pris la décision clé impliquant un nouveau titre pour le roi, laissant au pape le soin d’organiser la cérémonie qui officialiserait cette décision. Le nouveau titre conférait à Charlemagne l’autorité légale nécessaire pour juger et punir ceux qui avaient conspiré contre le pape. Il constitue également une reconnaissance appropriée de son rôle de souverain d’un empire composé de divers peuples et de gardien de la chrétienté orthodoxe, et lui confère un statut égal à celui de ses rivaux corrompus de Constantinople. En sanctionnant une fois de plus un titre pour les Carolingiens, le pape renforçait ses liens avec son protecteur et ajoutait du lustre à la fonction papale en vertu de son rôle dans l’octroi de la couronne impériale au « nouveau Constantin ».

Sur l’évaluation des années de Charlemagne en tant qu’empereur, les historiens ne sont pas tout à fait d’accord. Certains ont vu cette période comme celle d’une crise émergente, dans laquelle les activités de l’empereur vieillissant étaient de plus en plus restreintes. Charlemagne ne menant plus d’opérations militaires réussies, les ressources permettant de récompenser les fidèles du roi diminuent. Dans le même temps, de nouveaux ennemis extérieurs semblent menacer le royaume, notamment les Vikings et les Sarrasins. Il y avait également des signes d’inadéquation structurelle dans le système de gouvernement, qui prenait constamment de nouvelles responsabilités sans une augmentation proportionnelle des ressources humaines ou matérielles, et une résistance croissante au contrôle royal par des magnats laïcs et ecclésiastiques qui commençaient à saisir le pouvoir politique, social et économique à tirer des concessions royales de terres et d’immunités. D’autres historiens, cependant, ont souligné des éléments tels qu’une préoccupation royale accrue pour les impuissants, des efforts continus pour renforcer l’administration royale, une diplomatie active, le maintien de la réforme religieuse et le soutien du renouveau culturel, autant d’éléments qu’ils considèrent comme des preuves de vitalité pendant les dernières années de Charlemagne.

Dans ce contexte plus large, il y a eu des développements qui suggèrent que le titre impérial signifiait peu pour son destinataire. En effet, en 802, lorsqu’il utilise officiellement pour la première fois le titre énigmatique d' » empereur gouvernant l’Empire romain « , il conserve son ancien titre de  » roi des Francs et des Lombards.  » Il continua à vivre à la manière traditionnelle des Francs, évitant les modes de conduite et le protocole associés à la dignité impériale. Il s’appuie moins sur les conseils du cercle qui a façonné l’idéologie qui a conduit à la renaissance de l’Empire romain. En effet, l’empereur semblait inconscient de l’idée d’une entité politique unifiée implicite dans le titre impérial lorsque, en 806, il décréta qu’à sa mort son royaume serait divisé entre ses trois fils.

D’autres preuves, cependant, indiquent que le titre impérial était important pour lui. Charlemagne s’engage dans une longue campagne militaire et diplomatique qui finit par obtenir, en 812, la reconnaissance de son titre par l’empereur d’Orient. Après 800, son programme de réforme religieuse met l’accent sur les changements de comportement qui impliquent que l’appartenance à l’imperium Christianum requiert de nouveaux modes de conduite publique. Il s’efforce d’apporter une plus grande uniformité aux divers systèmes juridiques qui prévalent dans son empire. La terminologie et les symboles employés par la cour pour exposer sa politique, ainsi que les motifs artistiques utilisés dans le complexe immobilier d’Aix-la-Chapelle, témoignent de la prise de conscience de la fonction impériale comme source d’éléments idéologiques capables d’étayer l’autorité du souverain. En 813, Charlemagne assure la perpétuation du titre impérial en conférant de ses propres mains la couronne impériale à son seul fils survivant, Louis le Pieux. Le couronnement de 813 suggère que Charlemagne pensait que la fonction avait une certaine valeur et qu’il souhaitait exclure la papauté de toute participation à son attribution. Dans l’ensemble, les preuves permettent de conclure que Charlemagne considérait le titre impérial comme une récompense personnelle en reconnaissance de ses services à la chrétienté, à utiliser comme il l’entendait pour renforcer sa capacité et celle de ses héritiers à diriger l’imperium Christianum vers sa fin divinement ordonnée.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.