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Ce classique du Canon de l’Ouest – appelé  » la chapelle Sixtine de l’art allemand  » par le méga critique Jonathan Jones – est aussi hyper-violent qu’un film de Quentin Tarantino tout en adoptant une approche de roman graphique pour raconter l’histoire du sacrifice du Christ.

Le retable a été exécuté entre 1512 et 1516 comme une commande du monastère de Saint-Antoine à Isenheim. Les moines du monastère soignaient les paysans et les parias de la société souffrant de maladies affectant la peau, notamment la peste et l’affection autrefois connue sous le nom de feu de Saint-Antoine. Aujourd’hui, cette maladie est reconnue comme un empoisonnement par un champignon appelé ergot, causé par la consommation de pain de seigle, et plus rarement d’autres céréales, contaminé en raison d’un stockage insalubre. Une intoxication à l’ergot de seigle non traitée, également connue sous le nom d’ergotisme, entraîne l’une des deux affections suivantes : l’ergotisme convulsif et l’ergotisme gangreneux. Le premier attaque le système nerveux et provoque des convulsions et des contorsions douloureuses des membres, une torsion du cou et des hallucinations. Le second restreint la circulation sanguine dans les bras et les jambes, ce qui entraîne des infections qui pourrissent et se propagent sans amputation. Les expériences menées par un scientifique suisse dans les années 1930 pour trouver une application médicale à l’ergot ont conduit à la première forme synthétisée du LSD.

Les moines d’Isenheim dispensaient des soins palliatifs aux patients atteints d’ergotisme. C’est-à-dire qu’ils offraient des pommades anti-inflammatoires, du pain sans ergot et des doses saines d’une boisson appelée saint vinage. Ce dernier remède était un mélange sacré d’herbes sélectionnées et de reliques de saint Antoine trempées dans un vin fortifié. La mission médicale du monastère se traduit par un compte en banque bien garni que les moines utilisent en partie pour acquérir de nombreuses œuvres d’art merveilleuses. La collection est devenue un danger pour le monastère au cours des années suivantes. Le retable d’Isenheim a été retiré du monastère, avec de nombreux autres trésors, lorsque la Révolution a éclaté en 1792. Il a été transféré dans une succursale locale de la Bibliothèque nationale de France pour le préserver des pillards sans foi ni loi. Aujourd’hui, le retable est exposé au musée Unterlinden de Colmar.

L’imagerie et les figures du retable montrent la mission des moines et les aident dans leurs efforts hippocratiques. Le retable est organisé comme un polyptyque, ce qui signifie qu’il y a au moins trois panneaux peints et articulés qui s’ouvrent et révèlent un autre panneau peint en dessous. Les panneaux et les ailes sont peints par Matthias Grünewald tandis que le sculpteur Nicalus de Haguenau a fourni des figures en bois pour la présentation au cœur de l’œuvre.

Le polyptyque fermé montre la célèbre vue d’un Christ horrible, gangrené et cadavérique souffrant sur la croix avec une mère Marie, Marie-Madeleine et l’apôtre Jean dévastés d’un côté et un Jean-Baptiste à l’air un peu insolent de l’autre. Au-dessus de la tête du Baptiste est placée une écriture dorée qui se traduit par « Il doit croître, mais je dois décroître », ce qui est un clin d’œil évident au spectateur pour lui montrer que le Christ couvert de plaies est bien le Dieu que nous attendons pour se lever et vaincre la mort. Il y a aussi l’agneau en peluche de l’Eucharistie aux pieds du Christ, avec une giclée caricaturale de sang sacré s’écoulant de la poitrine de l’agneau dans un gobelet, qui visualise encore plus l’aspect sacrificiel de la Passion tout en rappelant aux spectateurs leur propre salut. Sous les panneaux se trouve une scène de mise au tombeau du Christ et, de part et d’autre, des ailes qui représentent le martyre de saint Sébastien et de saint Antoine harcelés et/ou tentés par un monstre. Les deux saints étaient connus comme des guérisseurs. Si le lien avec saint Antoine est évident à ce stade, saint Sébastien était le grand intercesseur au ciel pour toute personne souffrant de la peste.

La Crucifixion de Grünewald était ouverte lors des fêtes célébrant la Vierge Marie pour révéler les panneaux et les ailes en dessous. La section centrale du polyptyque révèle une aile gauche et un panneau central qui racontent l’histoire de Marie. L’aile représente l’Annonciation, lorsque la Vierge est informée qu’elle portera le Fils de Dieu. Le panneau se poursuit par une symphonie d’anges célébrant la naissance de Jésus, emmailloté dans les bras de Marie. À droite, Jésus sort du tombeau pour apporter le salut au monde entier.

S’ils ont vraiment de la chance, les pèlerins et les personnes souffrant d’ergotisme peuvent voir ce panneau central ouvert voir la scène finale. Le panneau central final est orné de sculptures de Nicalus. Saint Antoine est assis dans la gloire au centre de la sculpture, flanqué de part et d’autre de petits personnages apportant des offrandes. Saint Augustin et Saint Jérôme se trouvent respectivement à gauche et à droite. Il s’agit de deux des quatre grands théologiens largement reconnus de l’Église primitive. Sous les sculptures centrales se trouvent des représentations du Christ et des douze apôtres qui confèrent au retable une grande autorité spirituelle. Les derniers panneaux de gauche et de droite sont tous deux de Grünewald. Le panneau de gauche montre une rencontre entre saint Antoine et l’ascète saint Paul l’Hermite. À leurs pieds, puisqu’ils sont si sages et tout, poussent des herbes utilisées dans le saint vinage. À droite, saint Antoine est tenté de renier Dieu par une foule de monstres inspirés de Jérôme Bosch qui le déchirent membre par membre. L’un des monstres paresse dans le coin inférieur gauche de l’aile, exposant un ventre distendu, des bras et des jambes nus couverts de lésions qui imitent l’ergotisme gangreneux. Il est possible que le démon paresseux ait été utilisé comme une sorte d’outil de diagnostic par des moines novices ou incertains essayant d’aider de nouveaux patients.

Le retable d’Isenheim a inspiré de nombreux penseurs et artistes canonisés. Le philosophe Elias Canetti a un jour essayé de rester dans l’Unterlinden après l’heure de fermeture, écrivant dans ses mémoires :  » J’ai souhaité l’invisibilité pour pouvoir y passer la nuit.  » Le retable a joué un rôle important en incitant le compositeur Paul Hindemith à créer son opéra sur Grünewald. Pablo Picasso s’en est même inspiré, créant toute une série de compositions à la plume qui s’inspirent de la Crucifixion.

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